Ecrits sur la pensée au Moyen Âge
de Umberto Eco

critiqué par Colen8, le 10 novembre 2016
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Un entre-deux intellectuel foisonnant mais bridé
Interpréter ce qu’a été la pensée durant le Moyen Âge, millénaire allant de la fin de l’Empire romain d’occident à la Renaissance, ne peut se faire avec le sens qu’on lui donne aujourd’hui. Les invasions dont celles des Wisigoths ayant coupé les relations avec l’Orient, les savoirs et les philosophies antiques ont été pour partie égarés ou oubliés même si siècle après siècle des dizaines d’encyclopédies voient le jour dérivant en partie les unes des autres. Le christianisme adopté comme religion de l’Empire a ouvert à l’Eglise une période quasi hégémonique sur le pouvoir temporel, allant jusqu’à définir le champ de la connaissance. Le monde est celui d’une tradition appuyée sur des règles communément admises. Les Ecritures, le récit de l’Apocalypse de Jean, l’inquiétude millénariste ont tenté de figer la croyance, du moins tant que les hérésies surgissant en permanence sont contenues, dénoncées jusqu'à être combattues avec la pire violence. La création, œuvre divine par excellence, est celle de la perfection qui ne laisse aucune place à la découverte, à l’invention, à l’imagination, encore moins à l’art considéré au mieux comme du bricolage artisanal.
Les chefs d’œuvre qui nous sont parvenus, la statuaire des portails de cathédrales romanes et gothiques, les vitraux merveilleux de couleur et de finesse, les enluminures des livres d’heures, la musique sacrée sont inspirés par la grâce pour entretenir la foi des populations incultes et convertir les infidèles. Il apparait que les méandres de traductions approximatives quand elles ne sont pas carrément fantaisistes, recopiées les unes des autres sans même chercher à vérifier l’authenticité des sources donnent lieu à des commentaires sans fin. Ainsi l’essentiel des traités d’Aristote sera redécouvert au XIIIe siècle après avoir été traduits et interprétés par les arabo-musulmans d’abord, par les moines de langue latine ensuite.
Ces écrits sur la pensée médiévale sont dispersés sans chronologie, ni synthèse, ni logique. Le thème dominant (plus de la moitié de l’épais volume) traite de l’esthétique médiévale, notamment celle de Thomas d’Aquin*. La Beauté, don divin également symbole de Vérité et de Bonté, est comprise comme un concept métaphysique. Elle se reconnait formellement en présence de trois attributs constamment intriqués : la proportion pour signifier l’équilibre entre les parties et de celles-ci avec le tout, l’intégrité pour élaborer la forme de l’objet et en marquer la conformité à sa fonction, la clarté pour traduire luminosité et couleur émanant de la matière. L’influence de Thomas d’Aquin se fera sentir sans discontinuer jusqu’auprès des romantiques, des surréalistes ou même de l’ancien élève irlandais des jésuites James Joyce à qui est consacré tout un chapitre. Eco juge plus ou moins pertinents les commentaires multiples publiés sur la philosophie médiévale. Ailleurs il évoque la théorie du langage émise par Dante, souvent contestée. En même temps que sont reproduites quelques illustrations en couleur de cette esthétique d’une grande diversité, il nous donne un aperçu de la technique ésotérique venant de Lulle pour parvenir à la connaissance, dérivée selon certains de la Kabbale hébraïque. Cette technique se voulant aussi une forme d’art fera bien des émules par la suite.
Revisiter la pensée médiévale est un exercice qui peut s’avérer certes passionnant mais sûrement périlleux étant donné les sources écrites dans un latin propre à entretenir la confusion du vocabulaire avant l’adoption ultérieure et la fixation par la grammaire des langues vernaculaires. Bien que servie par la notoriété mondiale de l’auteur du best-seller « Le nom de la rose » on se demande qui pourrait avoir la curiosité de se plonger dans cette lecture en dehors du cercle des chercheurs, médiévistes, linguistes, grammairiens, philologues, latinistes de surcroit. Après un bel effort de concentration, de persévérance et de relectures on prendra peut être la mesure de la richesse culturelle d’une période moins sombre qu’on a voulu le faire croire, indéniable creuset de la culture européenne.
*Réinsertion in-extenso de la thèse universitaire d’Eco dans les années 50’s sur ce sujet-là.