Histoires rêvérées
de Mia Couto

critiqué par Ellane92, le 24 octobre 2016
(Boulogne-Billancourt - 48 ans)


La note:  étoiles
Sans jamais se lasser
Les éditions Chandeigne ont eu l'excellente idée de permettre aux lecteurs francophones de découvrir "Histoires rêvérées ", un recueil de 26 nouvelles datant de 1994, du Mozambicain Mia Couto, traduit par l'excellentissime Elisabeth Monteiro Rodrigues, prête à suivre l'écrivain poète scientifique et enseignant dans ses images, symboles, mots-valises et néologismes.

J'ai découvert Mia Couto il y a 3 ans, avec L'accordeur de silences. Depuis, je ne cesse de revenir régulièrement à ses écrits traduits en français (il n'y en a pas tant que ça). Histoires rêvérées est le premier recueil de nouvelles que je lis de cet auteur (mon prochain achat sera surement "Le fil des missangas"), et comme chacune de ses œuvres, j'en sors enchantée, "emmerveillée", le cœur ému et le sourire aux lèvres.
On trouve sur internet beaucoup d'articles qui parlent de la "technique" d'écrivain de Mia Couto ; c'est vrai que ses mots valises sont toujours savoureux, comme les adjectifs "contemplinactif" ou "splendouloureux", ou les verbes "bienvenuer" ou "s'airphyxier". Après tout, Mia Couto est poète. On parle aussi régulièrement de sa faculté à écrire l'oralité (oui je sais, c'est bizarre comme expression), et c'est vrai que ses récits font la part belle à la culture orale, aux mythes ancestraux, à la filiation des enseignements, aux proverbes de ces villages qui n'existent que dans ses livres.
Je crois que ce qui me plait le plus dans les livres de Mia Couto, c'est qu'ils font appel à des symboles, qui par essence sont universels et touchent aux émotions (en tout cas, ils m'émeuvent). Par exemple, ils peuvent avoir tout bêtement une portée, une interprétation, symbolique, comme dans la cynique nouvelle "La guerre des clowns". Ils peuvent se situer au carrefour de la réalité et du mythe ou du rêve (ou du "fantastique"), et il est parfois nécessaire que, pour comprendre l'histoire "dans la réalité", il soit indispensable de faire un tour dans le monde "intér-ailleurs" (oui, je ne suis pas très douée pour les mots valises, mais je m'entraine!), comme dans la magnifique nouvelle "Les eaux du temps", qui ouvre le recueil. Ils peuvent aussi utiliser tels que des symboles, comme dans la très amusante "La vieille avalée par la pierre" ou le fait réel (puisque publié dans le journal !) "Les pleurs de cocotier". Ils peuvent aussi nous amener à changer, le temps de quelques pages, notre regard sur le monde. Parce que parfois, voyez-vous, les aveugles discernent mieux la réalité que les voyants et que les sourds entendent mieux que les "entendants" (tout cela nous est raconté dans "L'aveugle Estrelinho" et dans "Le prêtre sourd", qui n'est pas plus prêtre que vous et moi !). Et puis aussi, ces récits sont symboliques parce qu'ils sont universels, qu'ils évoquent des choses que nous connaissons ou avons tous connu ("Le parfum", sans doute une de mes préférées, avec "La vieille avalée par la pierre" et "Le couchant du drapeau"), qu'on habite le Mozambique ou la France, que l'on soit blanc ou noir, que l'on écrive ou que l'on parle.

Rédigées juste après la guerre civile qui a ravagé le Mozambique pendant quinze ans, on retrouvera dans ce recueil des thèmes chers à l'auteur : les dommages de la guerre, la fascination et l'oppression des femmes, l'inutilité des casques bleus, l'importance des filiations, le caractère sacré des relations vraies... Encore une fois, j'ai été sous le charme de cet écrivain aux mille facettes et facéties, qui écrit sur les drames et le bonheur (et même sur les messieurs qui calculent le bonheur !), l'amour et la mort, le visible et l'invisible, la réalité et le rêve, toujours avec humour, poésie, tendresse, parfois un peu d'ironie, énormément d'humanité et d'humilité.