L'homme nu. La dictature invisible du numérique
de Marc Dugain, Christophe Labbé

critiqué par Colen8, le 2 septembre 2016
( - 82 ans)


La note:  étoiles
La Pieuvre
Ceux qui n’ont que les bienfaits de l’économie numérique à la bouche doivent être avertis du revers de la médaille. Le numérique sert de support aux Big Data, les méga bases de données collectant des informations hyper-détaillées sur chacun d’entre nous. Les réseaux sociaux alimentés gratuitement en profils personnels d’une part, les mobiles, tablettes et autres objets équipés de logiciels espions ou de puces laissant la trace des connexions d’autre part sont analysés par des algorithmes surpuissants, évolutifs autrement dit auto-apprenants. Pendant que des applications ludiques en apparence sont conçues pour créer puis entretenir des addictions, ces algorithmes détectent non seulement des déplacements, des préférences mais jusqu’à des intentions.
L’essentiel du pouvoir technologique se retrouve entre les mains américaines d’un petit nombre d’acteurs seulement. Après Intel, IBM, Microsoft, HP sont apparus les géants des applications dits GAFA*, plus récemment les plates-formes de mise en relation NATU** et quelques autres tels Paypal. Les réseaux, les satellites de télécoms, le GPS aussi sont américains. Sous couvert d’une gratuité d’accès aux savoirs, à la connaissance, à quantité de services, les décisions, les comportements, les habitudes, la vie privée, la santé des consommateurs rendus encore plus précis sont revendus au prix fort aux entreprises qui savent en faire le meilleur usage publicitaire. Sous couvert de sécurité, terrorisme oblige, les industries high-tech travaillent main dans la main avec les services de renseignement au détriment des libertés publiques.
Bientôt, les sentiments, les pensées, les émotions pourront être mis en coupe réglée par ces nouveaux maîtres du monde. Ils ont un projet « libertarien, sans frontières, sans Etat » disent les auteurs, qui mène tout droit au transhumanisme.
*Google, Apple, Facebook, Amazon
** Netflix, Airbnb, Tesla, Uber
une démonstration magistrale 9 étoiles

Les Big Data, avaleurs de toutes les données disponibles sont tout puissants.
Ces géants du numérique qui envahissent jusqu’à notre intimité s’appellent Google, Apple, Amazon ou Facebook.
Ce sont des services du renseignement à qui rien n’échappe : ni nos relations, nos goûts, nos idées, nos choix.
C’est tout d’abord, l’apparition d’une pathologie sociale, reconnue au Japon mais présente dans de nombreux pays.
« Des adolescents ou de jeunes adultes qui restent cloitrés chez eux, connectés en permanence à leur ordinateur, et que l’on nomme les kikikomori, les « retranchés » »
Chacun dans sa bulle, chacun pour soi mais surveillé de très près par des annonceurs prêts à offrir ce qu’on attend.
On commence à nous épier, à anticiper nos demandes pour demain faire disparaître notre libre arbitre.
Les deux auteurs de ce livre nous font redécouvrir la naissance de l’informatique et remettent les pendules à l’heure :
Si des start-up sont nés dans des garages, il ne faut pas oublier que « le garage se trouve en fait sur un porte-avion ».
La collaboration entre l’appareil sécuritaire américain et les big data est total pour la défense d’intérêts réciproques.
Ces géants du numérique et du renseignement nous installent une société bien pire que celle du Big Brother.
Il existe une prise de contrôle de notre existence qui risque de nous transformer en hommes nus, sans choix réels, quasi programmés et sous une surveillance que passivement nous aurions acceptée, ignorant le mécanisme infernal qui nous enferme.
Le pire, tel qu’il est présenté dans certains films d’anticipation est certain, à moins que les hackers arrivent à semer de nombreux grains de sable et à réussir à grande échelle à trouver les bonnes techniques de l’autodéfense.
La bataille fait rage mais il y en a de plus puissants que d’autres.
« Les avantages proposés par les nouveaux maîtres du monde sont trop attrayants et la perte de liberté trop diffuse pour que l’individu souhaite s’y opposer, pour autant qu’il en ait les moyens. »
Rien n’est joué encore, même si nous sommes très mal partis avec cette mondialisation numérique, marchande du formatage.
Jean-François Chalot

CHALOT - Vaux le Pénil - 76 ans - 5 février 2017


L'homme aliéné 8 étoiles

Le livre commence par des séries de chiffres, de comparaisons, de pourcentages ; des nombres coups de poing dans un chapitre qui semble un peu long par l'abondance de données chiffrées.
Les auteurs nous présentent ensuite les risques et les avantages inhérents à chaque découverte, à chaque progrès, dans l'histoire de l'humanité. Au même titre que l'atome a permis l'invention de la bombe atomique, les connaissances démultipliées et exponentielles des Big data, représentent un véritable danger pour l'individu… qui se livre pourtant de son plein gré.
Car c'est bien avec notre accord que 90 % des communications et échanges mondiaux sont maîtrisés par Apple et Google. Et si ce n'est pas par passivité ou volonté individuelle, ce sont des accords ou ententes machiavéliques entre états et Big datas. "Cette surveillance totale de l'être humain, de tout ce qu'il peut produire comme information, n'est pas un projet, mais une réalité qui se construit à une vitesse vertigineuse, au mépris de la notion de frontière et de toue protection légale, dont il est aujourd'hui impossible d'entraver l'escalade."
Chaque individu, sous couverture sécuritaire, est repéré, pisté, quel que soit le support qu'il utilise, ordinateur fixe, portable, tablette ou smartphone.
FB suit ainsi à la trace, où qu’ils se trouvent sur le net, et les adeptes du célèbre site ne sont pas les seuls.
Les amoureux des livres numériques ont aussi droit à leur mouchard. Les liseuses enregistrent habitudes et préférences, les lieux et moments favoris de lecture, les pages qui ont été annotées, les chapitres éventuellement délaissés, les livres refermés avant d'avoir été terminés.
La multiplication des appareils connectés, présentée comme une amélioration de nos conditions de vie, est une véritable aliénation au Big data. On se livre nous mêmes, pieds et poings liés.

Et que dire, quand on lit ce passage sur la ville de Nice, quelques mois après l'abominable attentat. N'est-ce pas la malheureuse démonstration de la limite de toutes ces connexions : "Nice a inauguré en mai 2013, le premier boulevard connecté d’Europe. La chaussée, les réverbères, les conteneurs à ordures ont été farcis de capteurs qui analysent en temps réel le trafic, la qualité de l'air, le bruit ambiant, la température. Les poubelles, lorsqu'elles sont pleines, alertent les services de propreté. La luminosité des trottoirs est modulée en fonction du nombre de piétons. La ville est truffée de caméras " intelligentes" capables de lire sur les lèvres à 200 mètres. Ce mobilier urbain qui communique en wi-fi renseigne un ordinateur central qui pilote la ville".

Pour aller toujours plus loin, l'école est un marché vertigineux ; "utiliser" les enfants pour qu'ils deviennent des adultes dépendants encore plus connectés que leur parents, encore plus soumis ; supprimant toute possibilité réflexive, supprimant la chronologie des événements fondamentaux tant l'enfant, l'apprenant sera habitué à chercher une info brève sans suite ; mais la propre progéniture des employés de la Silicon Valley scolarise ses enfants dans une école où ils n'ont pas le droit de toucher à aucun appareil... avant la 4° !

Prévoir l'avenir ne sera plus de la science-fiction ; grâce à certains "comportements anormaux" ( comme courir, marcher à contresens, nouer ses lacets…), des algorithmes seront capables de fournir aux policiers les endroits et les moments où vont se dérouler les drames.
Après la connaissance totale de l'individu, viendra, est déjà arrivée, la maîtrise de son temps, de son sommeil, de ses humeurs, de ses lectures, de ses amis, de sa sexualité, de sa santé, de son travail (ou de son absence de travail)…

Trop de "copies" dans cette longue critique, mais j'avoue avoir eu beaucoup de difficultés à faire un tri parmi ces informations alarmistes et effrayantes, et pourtant tellement réelles. Moi qui ne connais rien à cet univers, j'ai découvert le danger exponentiel de ces Big Datas.
Une lecture qui fait froid dans le dos.

Marvic - Normandie - 65 ans - 18 novembre 2016