Henry Shackleford, jeune esclave mulâtre était loin de se douter en voyant "un vieil Irlandais tout délabré titubant" entrer dans la taverne de son maître Dutch Henry, que cet homme allait bouleverser sa vie. D’abord en tuant son propre père, barbier prêcheur, puis en l’emmenant contre son gré dans sa fuite.
Car cet «"Irlandais délabré"» était en fait un homme recherché, dont la tête était mise à prix dans de nombreux états pour son combat contre l’esclavage, John Brown.
Ne doutant pas de la réponse à une question qu’il n’a même pas posée, il "libère" le jeune garçon, le rebaptise doublement, en le prenant pour une fille prénommée Henrietta, et lui donnant le surnom d’"Echalote", comme le porte-bonheur qu’il/elle vient d’avaler.
Malgré ses tentatives d’évasion pour retourner chez son maître où il avait au moins le gîte et le couvert, il va traverser plusieurs états, croiser un grand nombre de personnalités plus ou moins recommandables, dont certaines aux espérances de vie très limitées.
Employé(e) dans une taverne à "l’étage du Plaisir", émissaire du Canada en Virginie pour préparer le "Grand jour", Henry sera le témoin des prémices du grand combat qui secouera les états-unis quelques mois plus tard.
" Pour dire la vérité, ça me rendait un peu triste de voir ces centaines de Blancs en train de pleurer sur les Noirs, vu qu’il n’y avait presque jamais de Noirs présents à ces réunions, et ceux qui étaient là, ils s’étaient faits tout beaux et ils étaient sages comme des images…. Tout le monde parvenait à faire un discours sur les Noirs, sauf les Noirs."
Au fur et à mesure des aventures, de la fréquentation du Vieux, témoin de son courage ou de sa folie, de son abnégation, de son entêtement, le jeune garçon va comprendre ce que ce combat pour l’abolition de l’esclavage signifie, prendre conscience de sa propre importance de son rôle, des sentiments qu’il éprouve, du changement qu’il peut accompagner, et de l’importance de prendre son destin entre ses mains.
"Être noir, c’est un mensonge de toute façon. Personne vous voit tel que vous êtes vraiment. Personne sait qui vous êtes à l’intérieur. Vous êtes jugés sur ce que vous êtes à l’extérieur, quelle que soit votre couleur. Mulâtre, brun, noir, peu importe. Pour tout le monde, vous êtes un Noir, tout simplement…. J’en suis venu à comprendre que, peut-être, le plus important était ce qu’il y avait à l’intérieur, et que votre enveloppe extérieure comptait pas autant que les gens l’imaginaient, qu’elle soit noire ou blanche, masculine ou féminine."
Un livre dense, une épopée invraisemblable et pourtant réelle, souvent joyeuse (même si la nature humaine ne se montre pas sous son meilleur jour), à travers le destin d’un homme d’une grande clairvoyance ou d’une grande naïveté, à l’héroïsme inconscient à la limite de la folie ; un livre où on hésite en permanence entre le rire et les larmes. Une réussite.
Marvic - Normandie - 66 ans - 14 mars 2019 |