Derniers témoins
de Svetlana Alexievitch

critiqué par Romur, le 22 mai 2016
(Viroflay - 50 ans)


La note:  étoiles
Pire que la guerre
Il y a pire que la guerre, c’est la guerre vue, vécue et comprise par les enfants.
Selon sa méthode habituelle, Svetlana Alexievitch a recueilli puis organisé et publié des témoignages, sans jugement, sans analyse, sans distance, sans autre contribution personnelle que le choix et la mise en forme. Les témoignages de ceux qui avaient entre 4 et 14 ans au moment de la deuxième guerre mondiale.
Les voix se succèdent, pour dire la désorganisation de la vie familiale, la peur, la fuite, les exactions des nazis, la faim. Pour dire aussi la difficulté à surmonter les traumatismes, à avoir une vie normale en tant qu’adulte. Ces récits sont parfois insoutenables, tant l’occupation allemande en Europe de l’est et en Union Soviétique a été d’une barbarie sans commune mesure avec ce que nous avons connu en France, nous qui n’avons connu qu’un seul Oradour sur Glane.
Mais il faut absolument lire cet ouvrage car c’est en fait, pour une bonne part, le lot des enfants dans toutes les guerres et qu’il offre un angle de vue inédit, loin des récits de soldats et de journalistes.
Hallucinant 10 étoiles

Bien sûr, il ne s'agit pas de littérature de fiction. Cela explique - peut-être - le peu de commentaires sur ce site pour cette oeuvre. Bien rappelée par Romur, Alexievitch a suivi ici sa méthode habituelle. Elle a recueilli des dizaines de souvenirs de femmes et d'hommes qui, jeunes enfants, ont été embarqués dans les désastres de la guerre. Quand on a six ans et que la mitraillette d'un ennemi vient abattre sa maman dans le jardin familial, que se passe-t-il?
L'immense variété des récits tente de retrouver les suites immédiates de cette circonstance et de bien d'autres. Le livre est composé uniquement de ces témoignages, sans aucun commentaire de l'auteur. Ce pourrait être lassant. Ce ne l'est pas, tant la variété des récits soutient l'intérêt du lecteur. Par ailleurs autrement stimulé par leur contenu.
J'avais appris la barbarie de cette guerre. Ce qui est dans ce livre dépasse l'imagination: assassinats; tortures; meurtres d'adultes, d'enfants, d'animaux, réalisés souvent dans les pires conditions (en plein marécage); des centaines de villages brûlés, tellement que de la maison familiale, il ne reste que le poêle en pierres calciné et noirci; etc. Que fait un enfant dans cette horreur? Il cherche à survivre. Evidemment les personnages interrogés sont âgés et mettent de la distance dans leurs récits, encore que nombreux sont ceux qui avouent être encore profondément traumatisés par delà le cours de la vie qui, d'une manière sidérante, semble souvent avoir avalé l'horreur.
J'ai lu cet ouvrage avec passion et me demande pourquoi il n'est pas arrivé plus tôt dans mes mains. Comme il devrait atterrir dans les vôtres.
Il n'en reste pas moins que cette lecture me fait poser des questions. Qui ne sont pas l'objet du livre, je le comprends bien. Et ce questionnement ne va peut-être pas plaire à tout le monde.
1_ Les enfants - surtout les filles - voient arriver des nazis beaux et joyeux qui ne se déparent pas de ces caractéristiques pour commettre les pires horreurs: quels enfants ont-ils donc été?
2_ Tous les témoignages évoquent une vie harmonieuse avant l'arrivée brutale de la guerre. Cela paraît parfaitement normal de la part d'enfants vivant une vie normale dans une famille normale et une sociabilité heureuse (les voisins). Mais quand même. Mon idée de la vie en URSS est différente: massacres, tortures, internements, éloignements, procès viciés par le mensonge officiel, les camps du Goulag et de la Kolyma (voir Soljenitsyne, Margolin, Chalamov, etc.) étaient courants. Qu'en savaient donc ces enfants?
3_ Et ces enfants, s'ils n'avaient pas été bouleversés par cette guerre, quels adultes seraient-ils devenus? Le livre "Une femme à Berlin" n'est-il pas une sorte de miroir de celui-ci?

Falgo - Lentilly - 84 ans - 10 octobre 2017