Un Dernier Ver ?
de Michel Thauvoye

critiqué par Débézed, le 19 mai 2016
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Les emmerdeurs
Dans ce recueil de dix nouvelles, Michel Thauvoye met en scène des personnages qui ont tous la malchance de tomber, sans le faire exprès ou en croyant leur être agréable, sur des êtres dont ils ne peuvent plus se séparer ou des personnes qui les accablent. Des histoires qui paraissent impossibles mais des histoires qui pourraient bien survenir, j’ai pensé immédiatement au fameux film, « l’Emmerdeur », interprété par Lino Ventura et Jacques Brel, sauf que dans les récits de Thauvoye ce sont plutôt les « emmerdés » qui sont les héros.

Dans la première nouvelle, un homme qui veut se suicider à travers le mannequin qu’il jette à l’eau accable le sauveteur qui a repêché le noyé par procuration sans avoir que c’était un clone factice. Le candidat au suicide accuse son sauveteur d’avoir fait échouer son faux suicide et déclare qu’il est donc obligé de se suicider pour de bon obligeant le sauveteur plein de bonne foi à intervenir pour mettre un terme définitif à ce chantage. Et comme dans toutes ces nouvelles, Michel Thauvoye déploie, pour clore l’affaire, un cynisme radical mais un cynisme tellement cruel et barbare qu’il n’est qu’un effet d’humour noir et même très noir. Et ainsi la chute de chaque nouvelle est des plus imprévisibles tellement elle est cynique et inimaginable.

Je me souviens qu’à propos a de la lecture de son précédent recueil, « L’important c’est la sauce », j’avais écrit : « Michel Thauvoye est un maître de la nouvelle, de la nouvelle noire en l’occurrence, cynique, machiavélique, totalement amorale, ses textes courts, lapidaires, tranchants comme la lame du rasoir, sont un champ de jeu taillé à la dimension de son imagination débordante et explosive. Il trempe hardiment le pamphlet, la parodie, la satire dans le vinaigre le plus acide pour narguer tous les pouvoirs drapés dans l’apparat de leurs abus ». Je crois que ces quelques lignes, je pourrais les écrire à propos de ce dernier recueil même si l’auteur s’attaque cette fois plus à l’esprit tordu de nos concitoyens qu’à la bêtise du pouvoir et des institutions. Le processus littéraire est lui aussi un peu différent, puisque l’auteur cette fois a choisi de déployer, dans son recuei,l un fil rouge : « l’Emmerdeur » pour relier ces dix nouvelles dans une même démonstration et peut-être aussi pour dire qu’a être trop bon avec son prochain on risque parfois d’être fort « emmerdé ».

Un recueil qui devrait qui ravira les amateurs d’humour noir et qui fera rire tous les autres lecteurs qui s’aventureront dans ces textes.
Tout le malheur des hommes 9 étoiles

L’auteur de L’important c’est la sauce récidive avec Un dernier ver ?

Dans ce second opus diablement efficace et réjouissant (comme dans le premier), on retrouve le même cocktail à base de polar et d’humour tirant vers le rouge sang, agrémenté de plats mijotés servis avec de bons vins et de pop/rock du meilleur acabit des années 70 et 80. Ces nouvelles nous narrent des histoires improbables dans lesquelles par la force du je, on entre de plain-pied, avec une joie d’enfant ravi de commettre des actes interdits, comme si nous en étions les protagonistes, témoins ou inévitables victimes plus ou moins consentantes pris dans un enchaînement de circonstances menant au pire.

Dix nouvelles de haute tenue qui rassasient notre besoin de fiction et qu’on a toutes envie de raconter également, preuve de leur indéniable pouvoir de conviction. Comme dans Une vague de froid, où à la suite d’un accident de voiture dont il a lui-même souffert, son pote qui conduisait a trouvé la mort, le narrateur fait la connaissance de la mère de son ami de laquelle il tombe amoureux mais, pour l’approcher, il va engager, à l’inverse de l’Humbert Humbert de Lolita, une liaison avec sa fille tout juste sortie de l’adolescence… Ou Le badinage est un sport d’église, ce récit dans lequel le père du narrateur vient lui présenter sa future épouse qui a l’âge d’être sa soeur…. Il y a aussi, dans Dernière marche avant le sommet, l’examen d’embauche qui finit très mal et la réunion de famille d’Un nerf de famille qui ne se termine pas mieux… Pour ne rien dire de la dernière nouvelle, Ver solitaire, où après avoir accepté de se faire sodomiser par jeu par son amie, l’affaire va aller de mal en pis pour le protagoniste.

Dans la nouvelle qui ouvre le recueil, le narrateur commence par sauver de la noyade le mannequin d’un jeune homme qui prend mal cette incursion dans le déroulement de son suicide virtuel… Michel Thauvoye use dans ce recueil, on peut dire, de la même façon d’un avatar qu’il va plonger dans les situations les plus improbables (mais terriblement bien construites) où le burlesque finit souvent par voisiner avec l’horreur. Au moment où son alter ego pense vaincre les différents éléments en présence, qu’il va satisfaire ses désirs les plus chers, qu’il croit maîtriser les différents éléments mis en place, tout se retourne contre lui et le laisse en mauvaise posture quand ce n’est pas tout simplement sans vie.

Blanc comme neige est peut-être le seul récit qui ne présente pas le moindre humour, c’est un récit kafkaïen et implacable.

La morale de ces histoires jubilatoires, ne serait-ce pas que ce ne sont pas les autres qui sont cause de notre malheur, comme on pourrait aisément se le persuader à la lecture de ces nouvelles qui attestent pour sûr, d’une impossibilité du narrateur à vivre en société, voire en famille, mais cette impossibilité foncière qui fait que, comme le disait justement Blaise Pascal, tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.

D’autre part, si Mickaël, l’antihéros récurrent de ces récits, s’y était tenu, il ne nous aurait pas procuré ce furieux plaisir de lecture.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 26 mars 2017