Carnet de santé foireuse
de Pozla

critiqué par Blue Boy, le 20 février 2016
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Very bad tripes
Pendant longtemps, Pozla a prêté peu d’attention à ses problèmes de « bide », dont les docteurs disaient qu’ils n’étaient que « psychosomatiques ». Jusqu’au jour où, une fois marié, les premières crises plus aiguës apparaissent, avec au final un diagnostic, sans appel : il souffre de la Maladie de Crohn, une maladie rare, incurable, qui se traduit par une inflammation chronique des intestins !

Le jury d’Angoulême ne s’y est pas trompé, ce « Carnet de santé foireuse » est tout à fait remarquable. Pozla réussit, par le biais de l’humour, à nous faire partager et même apprécier un récit autobiographique sur ses « problèmes de tuyauterie », qui, il faut bien le dire, pourrait de prime abord rebuter. En effet, qui aurait réellement envie qu’un proche lui raconte en long, en large et en travers, ses déboires intestinaux, a fortiori un inconnu - sauf peut-être pour ceux qui connaissent déjà cet auteur à travers sa série « Monkey Bizness » ?

Il fallait donc un certain culot pour se lancer dans un tel exercice. Mais Pozla ne manque pas d’autodérision… Il met ainsi ses tripes sur la table au propre comme au figuré, et les déroule sur un peu moins de 400 pages. Et question tripes, il faut tout de même les avoir bien accrochées pour rentrer – aussi profondément - dans l’intimité corporelle de l’auteur qui nous fait vivre toutes les étapes de sa maladie. Mais heureusement, le style de dessin avant tout humoristique, et donc schématique, permet de mettre de la distance tout en proposant une représentation appuyée mais caricaturale d’entrailles peu ragoûtantes et autres conduits digestifs. Au fil des pages, la maladie se fait plus prégnante. Très vite, le corps n’est plus que douleur. Le grand téléphone blanc devient son confident de chaque heure face à qui seul son trou de balle s’exprime, non sans une certaine grandiloquence, lui ôte la parole, fait de lui un mutant protéiforme, un monstre difforme et avachi, une masse dégoulinante de boyaux, une usine à caca, un invraisemblable instrument à vent, une tuyauterie infernale… et la douleur, toujours cette sacrée douleur…

Puis arrive le moment où on touche le fond, où la folie alliée à la douleur est prête à le happer, mais où l’instinct de survie est le plus fort. Instant de l’électrochoc salvateur. Soudainement, le dessin se fait alors plus poétique, plus onirique, oserais-je dire proche du merveilleux, à certains moments c’est tout simplement sublime. Comme si l’auteur avait transcendé sa souffrance grâce à son art exutoire et antalgique.

Malgré la tournure comique de l’ouvrage, difficile d’avoir le cœur à rire aux éclats mais la plupart du temps, on garde le sourire aux lèvres, donc non, cela n’est jamais glauque. Guidé sans doute par une pulsion créatrice résultant d’une si rude expérience, le récit, qui semble commencer comme une potacherie quelconque, évolue doucement vers un objet artistique d’une puissance hors normes. Comme une quête, par moments extrêmement émouvante, à travers d’interminables dédales organiques pour trouver – enfin – la lumineuse délivrance, le Graal crohnien, d’une évidence telle qu’aucun ponte hospitalier n’aurait été en mesure de le prescrire : le régime ancestral, l’ « alimentation de type originelle », la voie vers la rémission, voire la guérison…

Avec cette lecture, la réalité la plus âpre de notre condition de mammifère organique nous saute à la tronche et nous avale littéralement, mais ce carnet de voyage au bout de l’enfer intestinal vaut bien un renard. Seul petit bémol : on aurait aimé voir le contenu de ces casseroles évoquées à la fin par le psychothérapeute, mais Pozla demeure beaucoup plus pudique dans l’étalage de ses boyaux cervicaux que de ses boyaux ventraux. Pour le reste, il appartient au lecteur de décider s’il s’agit de l’ouvrage idéal à lire aux toilettes… si c’est le cas, ça sera à coup sûr dans les toilettes d’un quatre étoiles…