Le rendez-vous de Venise
de Philippe Beaussant

critiqué par Kinbote, le 24 février 2004
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Une trop belle histoire
Pierre, le narrateur, a été au service de son oncle Charles, un spécialiste de la peinture, très attaché au bleu Chardin et aux portraits des peintres hollandais, un homme animé du sens de la mesure et de la beauté. Un jour, Pierre découvre un écrit dans lequel son parent narre une aventure amoureuse à Venise avec une femme plus jeune, qui veut un enfant de lui. Des années après la mort de Charles, Pierre rencontre par hasard, dans un colloque sur la peinture, Judith, la femme qui a donné un sens à la vie, à la vue de son oncle. Il fait par ailleurs la connaissance de sa fille Sarah. Il prend soin à temps de ne pas répéter avec cette dernière l’erreur de Charles avec Judith...

Une belle histoire, un peu trop, qui phagocyte le roman, car tous les moyens sont mis à son seul service, sans laisser aucune autre liberté au romancier. Qui n’en a pas pris. Demeure un roman un peu compassé qui se laisse lire avec plaisir mais qu’on dirait d’un autre temps et qui ne serait pas allé jusqu’au bout des possibilités de son auteur... Un rendez-vous manqué, en somme.

Cette belle réflexion sous forme d’une cascade d’interrogations sur les motivations possiblement cachées des rencontres amoureuses...
« Est-ce que l’amour est capable de vous rendre ainsi sensible à quelque chose à quoi l’on n’aurait pas pensé, dont on n’aurait pas cru devoir être ému ? Ou bien lorsqu’on tombe amoureux, est-ce nécessairement de la personne dont on ignorait qu’elle allait mettre en mouvement ce fonds secret qu’on portait en soi sans le savoir ? Devine-t-on de qui on doit tomber amoureux parce que c’est celui-là, celle-là, qui va vous faire être ce que vous vouliez être? »
Qui suis-je? 8 étoiles

"Les femmes n'étaient pas absentes de la pensée de mon austère vieil oncle. Il les aimait. Je le sais : il était intarissable quand il parlait d'elles. Mais c'étaient toujours des femmes peintes, des tableaux, des portraits..."

Charles Millau était un fervent érudit et un grand amateur d'art auquel il voua presque toute sa vie. Tout au moins est-ce ce que pense de lui son neveu, Pierre, qui est aussi son secrétaire et qui met de l'ordre dans les affaires de ce vieil oncle décédé.
En feuilletant de vieux carnets, il tombe sur une phrase mystérieuse "Je ne retournerai jamais à Venise". La surprise est grande, d'autant plus que son oncle affectionnait particulièrement cette ville qu'il avait visitée en sa compagnie. Pierre fouille chaque carnet et découvre ainsi une passionnante histoire d'amour entre son oncle Charles et Judith, une mystérieuse et envoûtante jeune femme. Pierre part à sa recherche, sur les traces de cet oncle dont il croyait qu'il n'aimait les femmes qu'en peinture et pas en chair et en os. De rencontre en dialogue, la véritable personnalité de Charles Millau voit le jour et on découvre un homme qui, sous une austère face de savant méticuleux, cachait un homme au coeur de beurre.

Ce roman n'est pas une histoire d'amour, c'est une quête d'identité, de soi-même et de l'autre, d'un proche que l'on pensait connaître (ça me rappelle la fille du super-8 de Berenboom) et qu'on découvre page après page. En découvrant son oncle, Pierre se découvre également lui-même, ses émotions et son coeur qui bat. Une enquête à la recherche de soi admirablement bien accompagnée par les descriptions de tableaux, les commentaires sur Venise, les impressions sur l'art, l'amour porté à la beauté des femmes (quel talent ce Beaussant pour décrire la chose !). Un roman tendre et fort qui nous laisse un peu meurtri à la fin, bouleversé d'avoir découvert aussi une partie de nous-même en le lisant.

Sahkti - Genève - 50 ans - 4 mai 2005