Le roi des scarabées
de Anne-Caroline Pandolfo (Scénario), Terkel Risbjerg (Dessin)

critiqué par Pucksimberg, le 1 janvier 2016
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Adaptation libre d'un classique danois
Quelle atmosphère envoûtante ! Une belle écriture, un univers onirique envoûtant, le monde des artistes danois ... "Le Roi des scarabées " est inspiré du roman "Niels Lyhne" ( 1880 ) de J.P.Jacobsen.

A la fin du XIXème siècle, le jeune Aksel vit en osmose avec la nature et partage ses jeux d'enfants avec des camarades. L'imagination est souveraine. Ils se baladent en barque et basculent dans un monde habité par des créatures surnaturelles, au pays des légendes et du folklore danois. Il sympathise avec Frederik, garçon plus emporté que lui, plus révolté aussi. Les deux garçons sont attirés par le domaine artistique, l'un par la peinture, l'autre pour la poésie. Adulte, Aksel quitte la campagne danoise pour Copenhague. Dans son apprentissage, il croisera des femmes, aussi différentes les unes des autres, qui auront chacune un rôle dans son éducation. Il retrouvera Frederik dont la révolte n'a fait que s'accroître ...

Les dessins en noir et blanc sont réussis. Certaines scènes sont tout simplement magiques. Je pense à ces balades en barque avec ces cygnes immaculés et cette nature qui devient féerique. Les personnages sont bien décrits et l'on parvient parfaitement à s'immerger dans cette histoire. Certaines situations rappellent les célèbres romans français du XIXème siècle. L'histoire reste bien sérieuse et l'on ne peut pas dire que nos personnages soient extrêmement heureux, mais toutes ces évocations passent par la métaphore et par des scènes fortes. Cette histoire exerce une certaine fascination sur le lecteur et l'univers m'a beaucoup fait penser à celui de Selma Lagerlof.
Il y a de pas de véritable frontière entre le réel et l'imaginaire. On semble véhiculer d'un monde à l'autre et c'est ce qui enchante le lecteur. La phrase finale d'Ingmar Bergman illustre parfaitement cette idée : "Il faut bien qu'il y ait un nombre illimité de réalités et pas uniquement la réalité que nous appréhendons avec nos pauvres sens, mais un grouillement de réalités qui vont et viennent, voltigent, tournoient, s'enchevêtrent intérieurement, extérieurement. C'est la peu et la logique qui limitent le nombre des réalités. Il n'y a pas de frontières ni aux pensées, ni aux émotions." Chers Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, c'est très réussi !

Sans doute l'une des plus belles bandes dessinées lues cette année. Qu'il est agréable de rencontrer de telles œuvres dans notre parcours de lecteur !
Une œuvre à redécouvrir absolument 10 étoiles

Je recommande vivement de découvrir ce chef d’œuvre injustement oublié, qui avait rencontré assez peu d’écho à sa sortie. « Le Roi des scarabées » est une adaptation librement inspirée du roman « Niels Lyhne », publié en 1880 par l’écrivain et poète danois Jens Peter Jacobsen. Sans avoir lu le livre, difficile de dire si la qualité narrative de l’ouvrage est due à ce dernier ou à Anne-Caroline Pandolfo elle-même. Quoi qu’il en soit, il y a un vrai talent de conteur derrière tout cela, et c’est avec une immense fascination que l’on suit le parcours de cet anti-héros qu’est Aksel, aussi performant en poète lunaire qu’en loser mélancolique. Et il le prouve admirablement : on peut parfaitement être un perdant magnifique et faire montre de panache en délaissant l’ignoble réalité âpre et butée pour la folie douce, envisagée ici comme un refuge merveilleux peuplé de scarabées aux reflets lumineux, « sauvages et raffinés à la fois ».

Aksel, poète blessé et agrippé au monde de l’enfance... L’horloge tournera trop vite pour ce doux tocard contemplatif qui décevra les espoirs trop lourds à porter de sa mère qui voulait voir en lui un futur poète de génie adulé par le monde entier et une planche de salut pour s’extirper de la boue de sa campagne où elle mourait à petit feu, déçue par un mariage pourtant prometteur… Mais comme par une sorte de malédiction familiale, Aksel va être à l’adolescence totalement subjugué puis aspiré par cet « astre noir » qu’est Fredrik, fils charismatique d’une cousine de son père et talentueux dessinateur promis à une carrière artistique. Aksel scellera très tôt avec Fredrik un pacte d’amitié comme on scelle un pacte avec le diable. Il partagera quelque temps la vie de son complice à Copenhague, mais celui-ci, également désireux de l’encourager dans son art, sera vite consumé par son inclination aux plaisirs terrestres. Son attirance pour l’ivresse et les jolies femmes aura finalement raison de son talent, et cet écorché vif exubérant, « lamentable jouisseur » comme il se définira lui-même, connaîtra une fin tragique, entraînant Aksel vers des gouffres existentiels dont il ne se sortira pas.

Pour mettre en valeur cette histoire prenante traversée par de très beaux personnages, Terkel Risbjerg nous livre un dessin pur, en noir et blanc, comme s’il avait trempé son pinceau dans les tréfonds de son âme, conférant à l’œuvre une qualité poétique remarquable, ce qui est la moindre des choses ici. Alimenté par les sensations, le trait semble inachevé, d’une tournure minimaliste exprimant l’essentiel des choses et des sentiments, avec une splendide évocation des rêves enfantins. C’est très fort, très puissant.

Fidèle à la grande tradition romanesque, ce chef d’œuvre, qui nous immerge dans l’hiver danois du XIXe siècle, suscite une réflexion profonde sur l’identité et la folie en poussant le parcours de chaque personnage vers des extrémités spectaculaires qui laissent le lecteur sidéré. Sous une obscurité apparente liée à un contexte climatique glacial et à la description de destins funestes, une certaine luminosité émerge, de l’ordre peut-être de celle qui se reflète sur les ailes des scarabées.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 6 décembre 2019