Crime d'honneur
de Elif Shafak

critiqué par Myrco, le 10 janvier 2016
(village de l'Orne - 74 ans)


La note:  étoiles
Le poids de l'héritage culturel
Ce roman nous conte l'histoire d'une famille musulmane turque mi-kurde immigrée en 1970 à Londres. Adem, le père et sa femme Pembe, parents de deux enfants de 8 et 7 ans, Iskender et Esma, ont choisi l'exil, attirés par le mirage d'une vie meilleure en Occident. Yunus, le petit dernier naîtra, lui, quelques années plus tard sur le sol anglais.

La scène d'ouverture nous projette d'emblée en 1992. Esma s'apprête à aller chercher son frère Iskender à sa sortie de prison après avoir purgé une peine de quatorze ans pour l'assassinat de sa mère, crime d'honneur: le thème central est posé, la tonalité dramatique donnée.

Elif Shafak, par ses origines et son parcours personnel, se retrouve au carrefour de deux cultures, proche-orientale et occidentale. Elle nous fait pénétrer ici, sans parti pris , au cœur des mentalités de ces populations immigrées construites sur des valeurs différentes des nôtres et pose le problème de l'adaptation, se contentant de nourrir notre réflexion.

A travers trois générations, son livre nous ramène toujours à cette notion d'honneur qui semble tenir une place prépondérante dans la culture du Proche-Orient notamment:
"dans (ce)pays (...)(on parle ici de la partie kurde à l'est de la Turquie)"honneur" était plus qu'un mot. C'était aussi un nom. On pouvait le donner à un enfant à condition que ce soit un garçon (...)les femmes n'avaient pas d'honneur. Elles étaient marquées par la honte".
"Moins un homme a les moyens, plus il valorise son honneur".
et l'honneur souillé d'un homme de la famille est une atteinte à l'honneur des autres hommes de la famille. Evidemment, la femme est seule responsable, violée, adultère ou dont le comportement suspect (comme Pembe) alimente la rumeur; elle incarne la souillure et celle-ci doit être lavée dans le sang.
Elif Shafak nous montre à quel point ce lourd héritage pèse sur la vie des individus: les femmes d'abord, soumises au destin qu'Allah leur a réservé, aux diktats des mâles, et dont les aspirations au bonheur avortent face à la peur et au sentiment de culpabilité qu'elles ont intégré au plus profond d'elles-mêmes. Pembe, ses sœurs Jamila et Hediye paieront le prix qu'elles doivent payer.
D'ailleurs, ce sont souvent les femmes, les mères, qui perpétuent cet assujettissement des filles et ce culte du mâle supérieur. Naze, leur propre mère n'hésitera pas à sacrifier sa vie pour donner le fils tant attendu après avoir mis au monde huit filles. Iskender, le matricide, est le fruit de cette transmission, le fils aîné chéri de sa mère, son "sultan", son "lion", la "lumière de (ses) yeux".
Mais les mêmes codes peuvent aussi détruire la vie des fils. Adem souffrira du départ de sa mère Aïsha et de l'opprobre jetée sur elle. Il épousera Pembe faute d'épouser sa jumelle Jamila, celle qu'il aimait, n'étant pas certain de sa virginité et tentera de noyer ses regrets d'une vie gâchée en sombrant dans l'addiction au jeu, quittera son foyer pour l'amour d'une danseuse. C'est ainsi qu'Iskender, investi à seize ans du rôle de chef de famille, poussé au geste fatal par la communauté, vivra la douleur de la culpabilité et de la perte plus déchirante et destructrice que la sanction imposée par la justice anglaise.

L'auteur évoque sans trop s'y attarder les thèmes du racisme et du repli identitaire et fait parfois vaciller quelques unes de nos certitudes. Elle semble porter un regard confiant sur l'avenir à travers le devenir d'Esma et surtout de Yunus, une vision néanmoins fondée sur une situation d'avant la montée des problèmes que nous connaissons aujourd'hui.

La structure adoptée peut paraître assez décousue au départ mais ne doit pas décourager le lecteur dispersé dans de nombreux aller-retour entre le Londres de la fin des années 70 et le passé vécu en Turquie, le tout entrecoupé des récits de prison d'Iskender. En réalité, les éléments de l'histoire s'ordonnent assez vite, Elif Shafak remontant un à un les fils de la vie des principaux protagonistes, éclairant peu à peu la construction de leur personnalité déterminante dans leur vécu et leur comportement au sein des situations qu'ils vivront par la suite. C'est grâce à cela qu'elle parvient à nous les rendre compréhensibles et attachants. A l'issue du premier tiers du livre, le schéma devient quasiment linéaire dans le temps et se focalise essentiellement sur la montée du drame dans les mois qui l'ont précédé.

Un autre aspect du livre est l'insertion de quelques passages qui empruntent à l'atmosphère des contes orientaux, passages reliés au passé turc ou à Jamila restée dans son village perdu d'Anatolie, comme s'ils appartenaient à une époque plus lointaine, sans doute pour mieux nous faire ressentir le fossé entre deux civilisations.

Mais quel dommage que ce retournement final improbable (les 50 dernières pages) dont on se rend compte alors qu'il a présidé à toute la construction du roman, l'auteur ayant habilement semé des indices auxquels on ne s'était pas vraiment arrêté! J'avoue ne pas avoir compris l'intérêt (si ce n'est celui de nous surprendre) de cette fin rocambolesque qui à l'instar d'autres éléments du roman (par exemple la concubine ambre dont je ne vous dirai rien de plus) m'a fait plutôt penser aux codes du feuilleton populaire et a gâché ma perception jusque là nettement plus positive.
le crime justifié... 7 étoiles

Quand l'honneur est relié au comportement des femmes de la famille, l'humanité est en danger...

Une famille kurde qui vient d'un pays conservateur et qui considère la femme comme une propriété bien gardée, immigre en Angleterre, le choc des cultures est flagrant, une mère qui met sur un piédestal son fils aîné, qui plus tard se retourne contre elle à cause des fréquentations peu recommandées qu'il a eu, un orateur qui prêche soi-disant la bonne foi et guide les jeunes sur le bon chemin, mais en réalité c'est de l’extrémisme qui a détruit toute une famille.

Pembe est certes tombée amoureuse, mais a gardé néanmoins ses principes, malgré cela, sa vie changera quand son fils décide de lui donner une bonne leçon à cause d'apparences trompeuses et que ...

Résultat de toute cette histoire: une femme tuée, un adolescent derrière les barreaux, une mère exilée et des enfants perdus, tout cela à cause d'une histoire d'honneur qui au lieu de l'avoir dans les vrais principes de la vie, l'homme préfère s'approprier des droits que le bon dieu ne lui a pas donné !

Djo88 - - 35 ans - 28 février 2021


Tuer sa mère, crime d’honneur ? 7 étoiles

Très actuel, ce roman d’Elif Shafak, écrivaine turque. Il nous parle de tant de problématiques qui déchirent notre monde occidental, ou du moins la vision du monde que nous avons depuis l’Occident.
Il y question de « kurdité » (pas simple en Turquie. Pas plus que dans les pays limitrophes d’ailleurs !). Il nous parle d’émigration vers l’Occident, Londres dans ce cas précis. Il nous parle aussi de cette prééminence de la masculinité dans le monde proche-oriental, principale source de conflits et d’inadaptation à mes yeux de ce public en Occident. Prééminence de la masculinité ou soumission de la féminité, ce qui revient à peu de choses près au même, mais ne devrait pas conduire Iskender, adolescent mal dans sa peau de Kurde à Londres, à tuer Pembe, sa mère, au motif qu’elle a retrouvé l’amour après avoir perdu son mari.
Beaucoup de problématiques donc, et un ouvrage touffu tant la construction en est compliquée, avec une histoire qui s’étend sur trois générations ; depuis Naze, la grand-mère, qui ne met que des filles au monde, de Pembe et Jamila, les jumelles, aux destins si dissemblables, jusqu’à Esma, Iskender et Yunus, les enfants de Pembe.
Oui, cette construction avec d’incessants aller-retours, aussi bien dans le temps qu’entre Turquie et Londres, où se sont établis Pembe et son mari, Adem - transparent dans le roman – avec leurs trois enfants pour fuir ce qu’ils vivent comme l’absence d’avenir, la misère et les contraintes sociales, cette construction donc est très compliquée et oblige à feuilleter régulièrement le livre en arrière.
Ce sont paradoxalement ces contraintes sociales qu’ils ont cru tous fuir qui va être le cœur du drame ; le meurtre de Pembe par son fils. Mais oui, c’est qu’en fait, les contraintes sociales ils les ont emportées avec eux. Cette prééminence du masculin, cette soumission du féminin, jusqu’au crime. D’honneur ? Allons donc, crime de la pression culturelle plutôt. Cette pression culturelle qui fait que les émigrés de culture musulmane, qui n’accordent pas sa place à la femme, ont tant de problèmes à se trouver une place dans notre société occidentale.

Tistou - - 67 ans - 4 juillet 2016


La famille kurde moderne 8 étoiles

J’avais peur que le crime d’honneur soit au centre de ce roman. Il ne l’est pas. En fait, il s’agit presque d’un prétexte afin de nous présenter une famille turque émigrée. Shafak commence son histoire de façon judicieuse, en présentant un personnage à la fois et en accrochant un autre au chapitre suivant. Tout en douceur, la toile de cette famille se tisse. On voit les personnages grandir.

Voilà la force de Shafak car ce qui relie l’ensemble est plutôt fade, encore plus cette révélation finale inutile et sortie d’un thriller bas de gamme. De même, elle ne s’encre pas réellement dans les époques. Non, Shafak est dans ce roman avant tout une bâtisseuse de personnages forts - cette mère qui veut à tout prix un garçon, Iskender le meurtrier et son sage compagnon de cellule qui lui apprend la philosophie, les jumelles Pembe et Jamila etc. Tous biens évoqués et attachants à leur façon.

J’ai passé un excellent moment avec eux sans pour autant avoir eu l’impression d’apprendre sur cette culture et leur vision de l’Occident.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 54 ans - 8 mai 2016


L'enfant trahi 7 étoiles

C'est par les yeux d'Iskender, personnage central du roman, qu'Elif Shafak nous raconte la vie d'une famille kurde sur trois générations.
De 1945 à 1992, des rives de l'Euphrate à celles de la Tamise, de la naissance des septième et huitième filles de Naze, Pembe et Jamila, jumelles et différentes, à la vie de Pembe à Londres, avec ses trois enfants, Iskender, le "sultan", Esma, la cadette, et le petit Yunus, jusqu'à la sortie de prison d'Iskender enfermé pour matricide.
Les trahisons vécues par Iskender sont-elles les raisons de son acte ?
La trahison de sa mère lors de sa circoncision, de son père, lors de la mort du bélier, pendant son enfance, l'abandon de celui-ci, le comportement de sa mère, si loin des valeurs morales, religieuses, sociales de son enfance, de ses origines.

L'auteure écrit de beaux portraits de ces turcs émigrés au travers d'une galerie de personnages aussi entiers, aussi intéressants les uns que les autres.
Et c'est peut-être là que le bât blesse.
À chaque chapitre, un changement de personnage, (les trois enfants, Pembe, Jamila...) mais aussi des allers-retours Turquie - Londres, ainsi que des voyages dans le temps, rendent ce roman un peu confus surtout dans sa première moitié.
La juxtaposition de ces deux univers aussi éloignés dans une même époque, deux mondes aux valeurs si différentes entre le désert où exerce une sage-femme solitaire aux pouvoirs dits surnaturels et les quartiers multi-raciaux de Londres, éclaire la perte de repères, le désappointement, des jeunes déracinés.
La critique de Myrco est aussi remarquable et complète que la mienne est confuse.
J'ajouterai simplement que si la lecture de la première partie m'a semblé fastidieuse, j'ai pris plus de plaisir à terminer ce roman en partageant le sort d'Iskender.

Marvic - Normandie - 65 ans - 11 avril 2016


Le choc des cultures 6 étoiles

Myrco a bien résumé le contenu de ce roman. Je me contenterai donc d'un petit commentaire. Il est vrai qu'au début, j'ai trouvé difficile de m'y retrouver en raison de la construction décousue du récit. On suit chacun des personnages tour à tour et je ne savais plus qui était qui. Je n'apprécie pas ce style. Le principal intérêt réside dans le choc des cultures. La famille kurde qui doit s'intégrer à Londres, ce n'est pas évident pour eux. La liberté sexuelle heurte les femmes comme Pembe et Jamila mais aussi, cela les fascine toute cette vie qu'ils n'ont jamais connue dans leur pays. J'ai aimé ces passages. Pour l'histoire, c'est plutôt terne à la limite de l'ennui.

Dirlandaise - Québec - 68 ans - 7 avril 2016