Pas Liev de Philippe Annocque

Pas Liev de Philippe Annocque

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Pieronnelle, le 6 janvier 2016 (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 76 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (904ème position).
Visites : 5 436 

Et si la réalité...

Tout d’abord il y a cet homme en vert sur la couverture qui bascule vers l’arrière mais qui manifestement reviendra vers l’avant ; enfin on ne le sait pas mais on le suppose. Comme on suppose dès le début que Liev est Liev. Un Liev qui arrive tranquillement dans un endroit Kosko ; endroit qui semble paisible, rassurant, aux douces collines. C’est celui que désire Liev, bien imprégné de son rôle de précepteur qui l’attend dans un château où il recevra toute la considération qu’il mérite. C’est le bras tendu vers l’avant ; Liev est Liev et fier de l’être.
Mais l’équilibre est instable même si Liev veut assumer son devoir de précepteur, malgré les doutes, car où sont les enfants ? Veut-on vraiment de lui dans ce château où pourtant on lui sourit , surtout Sonia ? :

“Comment Liev saurait-il si les enfants étaient enfin arrivés ? Peut-être étaient-ils là, peut-être était-on en train de leur chercher un précepteur, parce qu’il leur fallait un précepteur. On avait bien dû essayer d’en embaucher un, d’en engager un, mais qu’est-ce qu’il en était ?(....).
Il avait vu Mademoiselle Sonia aussi, mais de loin seulement. Quand elle l’avait vu, elle lui avait adressé un sourire presque timide qui ne lui ressemblait pas, qui ne ressemblait pas à l’image que Liev se faisait de Mademoiselle Sonia. Il lui semblait même qu’elle avait légèrement rougi en le regardant.”

Certains passages aux phrases répétitives, comme scandées, accentuent le sentiment d’incertitude dans leur volonté de certitude. Liev doit être Liev ; et quand il semble s’éloigner de Liev il bascule vers l’arrière... mais il se rattrape, tient bon ; il cherche le pourquoi du comment ; car il y a une raison à tout ! Et arrivent de vraies bulles de bonheur qui vont devenir un refuge aussi bien pour Liev que pour le lecteur...

“ Liev a eu envie d’ouvrir la fenêtre ; puis s’avisant qu’elle donnait sur le mur de la maison trop proche, il est sorti dans la cour et s’est planté en plein milieu. La cour était vide mais le soleil brillait.
Liev est resté un instant immobile, puis il s’est mis à tourner lentement dans le soleil. La cour était déserte. Il était bien au centre. Il tournait lentement dans le soleil. Et puis, quand il a jugé que cela avait assez duré, il est rentré de nouveau, un calme sourire aux lèvres. Il se disait que c’était suffisant, qu’il n’avait besoin de rien de plus. Et c’était suffisant en effet. Son esprit était serein et il y avait quelque chose de large et de généreux qui s’ouvrait dans sa poitrine.
Sonia...”

Mais derrière ce bonheur se dessine une ombre qui va rattraper Liev... Et un jour plus personne ne va sourire...
Alors Liev va plonger dans Pas Liev tout en baladant le lecteur jusqu’au bout. Enfin, plus exactement tous les deux vont se perdre dans les méandres de son esprit ; car on ne peut quitter Liev même si le doute s’accentue de plus en plus ; même si son arrivée au château presque idyllique, baignant dans une sorte de halo mystérieux, s’enfonce dans une brume inquiétante... On l’accompagne Liev, on n’a pas envie de le lâcher, avec le coeur battant car il semble pris dans un engrenage et tout ne devient que point d’interrogation ; qui est Liev ? est-il Liev ? Pourquoi a-t-on envie de le croire alors qu’il semble évident qu’il a pu mentir ? Enfin, ment-il ou c’est le lecteur qui imagine ou invente ? Pourquoi Liev ne serait pas Liev après tout ? Comme la réalité pourrait aussi n’être qu’imagination... Mais pourquoi ne serions-nous pas ce que l’on a envie d’être ? Comme Liev.
“Il est rare que la réalité coïncide parfaitement avec l’idée que l’on s’en fait”.
Et la tête du lecteur commence à tourner...
C’est grâce à une écriture troublante qui nous embarque dans l’esprit de Liev tout en étant à côté de lui, que Philippe Annocque nous plonge dans un absurde poétique et inquiétant nous laissant pantelant, presqu’effrayé par ce qu’on croit comprendre de Liev et peut-être de nous-mêmes...
Oui on va l’accompagner jusqu’au bout Liev ou celui qu’il n’est pas, et dès la fin il ne reste qu’une seule chose à faire : se précipiter pour relire le livre, surtout le début, qu’on ne peut “comprendre” que si on connait la fin. Faut-il aller jusqu’au bout des choses pour comprendre leur logique ? Et sommes-nous capables d’accepter ou de comprendre la logique de Liev ...?
Troublant, dérangeant dans nos certitudes, captivant...

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Perdu(e)

9 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 29 mai 2020

Découvrir un homme étrange dont la première page nous raconte son envie d’aller aux toilettes, à quelque chose de surprenant. Et surpris, on l’est de plus en plus en tournant les pages ; surpris, mais aussi déstabilisé, perdu.
J’avoue avoir trouvé ce roman hermétique, me pensant incapable de déchiffrer le code d’entrée de cet univers à plusieurs dimensions.
Alors, je me suis laissée porter par le rythme des phrases. Ces phrases courtes répétitives, parfois contradictoires, sans chercher à donner un sens cartésien ; quand la "musicalité" du texte m’a imposé l’image d’un homme assis, se balançant constamment d’avant en arrière, dans un monologue monocorde, marmonnant une antienne "Pas Liev, Liev…. "
Touchée par cet homme perdu, j’ai (enfin) compris le sens de tous ces "peut-être", et admiré le travail de l’auteur. Avec l’impression d’assembler un puzzle et de voir apparaître une silhouette…

Minuit, fatiguée, je laisse les 10 dernières pages pour le lendemain. Mais ces 10 dernières pages continuent à m’interpeller -il faut dire qu’entre temps, j’étais allée lire les critiques sur CL -, je rallume la lampe et termine le roman. Quel choc ! La dernière pièce du puzzle !
Alors je ne vous dis pas si j’ai fait de beaux rêves !!

Je partage totalement le ressenti de Nathafi pour ce livre commencé sans enthousiasme, terminé complètement bluffée.

Peut-être...?

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 2 novembre 2017

Le car avait laissé Liev au milieu de nulle part, dans une immense plaine glaiseuse et vide, des labours à perte de vue. « C’était en plein milieu des champs. Il n’y avait pas de relief. Juste quelques bosquets, assez loin. » On croirait lire le récit de la campagne ukrainienne de l’armée italienne écrit par Malaparte. Liev avait été embauché comme précepteur de deux enfants à Kosko mais quand il arrive à la résidence, les enfants ne sont pas là et même s’ils reviennent de vacances - peut-être ? – Liev ne les voit jamais. On comprend alors que les enfants n’existent pas, pas plus que la belle Sonia qu’il doit épouser et pas plus que les autres personnages de cette histoire dont on ne connaît que les apparences. On ne sait jamais d’où viennent et où vont les personnages, ils passent dans l’histoire comme dans l’esprit de Liev sans réelle consistance.

On comprend alors que cette histoire n’existe pas, que Liev n’existe pas ou du moins que Liev n’est pas Liev. Liev n’est peut-être que le personnage encadré par des êtres inconnus et questionné par des gens habillés d’étrange façon. Philippe Annocque nous raconte peut-être l’histoire qui a pris corps dans la tête de Liev après qu’il a subi un fort traumatisme psychologique. Une histoire qui n’aurait jamais existé. Et ce personnage à peine esquissé qui hébergerait Liev dans sa tête existe-t-il lui aussi ? Ce livre n’est que doute, supposition, suggestion, peut-être…

Philippe Annocque a peut-être voulu nous montrer que la réalité n’est pas la même pour tout le monde que chacun invente sa propre réalité et que chacune de ces supposées réalités est aussi crédible que n’importe quelle autre. Il n’y aurait peut-être pas de réalité, de vérité, absolue qu’elle serait très relative et dépendante de l’esprit qui la conçoit ou la reçoit.

Pour une fois au moins, Philippe Annocque délaisse un peu les contraintes oulipiennes qu’il s’impose, même s’il propose encore quelques fantaisies, pour s’adonner à la fiction, la fiction dans la fiction, la fiction mis en abyme. Une forme de jonglerie avec le récit et les idées au lieu d’une jonglerie avec les mots. « Un retour vers le roman » dit son éditeur, un retour qui déstabilise le lecteur en le laissant dans un doute profond tournant autour des « peut-être » et de l’incertitude permanente qui habite ce texte. Le lecteur pourrait même douter de l’existence de l’auteur, croire en une création de l’éditeur, douter de l’existence de cet éditeur et ainsi de suite jusqu’à douter de sa propre lecture mais puisque je doute, je suis peut-être …. ?

Je est un autre (et tous les autres!)

10 étoiles

Critique de Provisette1 (, Inscrite le 7 mai 2013, 11 ans) - 1 janvier 2017

Sans doute est-il préférable, parfois, de laisser le temps se dérouler pour pouvoir évoquer un tel roman à la puissance incontestable!

Philippe Annocque nous mène ici avec brio dans le labyrinthe existentiel de son protagoniste tout à la fois un et multiple, lui-même et tous ses autres jusqu'à nous conduire à l'ultime final pour- enfin- faire naître, re-n'être que l'enfant en soi.

Plus que brillant ou simplement enthousiasmant: "Pas Liev" est "l'Oeuvre" de Philippe Annocque.

Être ou ne pas être Liev?

10 étoiles

Critique de Lucia-lilas (, Inscrite le 21 février 2016, 57 ans) - 30 juillet 2016

Qui est Liev ?
Finalement, plus on avance dans l’œuvre, plus le mystère s’épaissit. Au début, la situation paraît assez claire : c’est un homme qui descend d’un car et qui doit se rendre à Kosko. Mais il a chaud et envie d’uriner. Le chauffeur lui a dit que Kosko n’était pas loin, « Qu’est-ce que ça voulait dire, « pas loin » ? ». En effet, qu’est-ce que ça veut dire « pas loin » ? Voici l’exemple même d’une expression qui n’a pas le même sens pour celui qui court chaque année un marathon et pour celui qui ne met pas un pied dehors et qui passe son temps à lire au lit… De l’ambiguïté des mots et des signes… Nous sommes ici au cœur de la problématique de l’œuvre.
A ce stade de la narration, Liev pourrait être vous ou moi. On ne comprend pas tout ce qu’on nous raconte, loin de là et disons-le, plus on vieillit moins on comprend ( je vais en inquiéter plus d’un !). Revenons à notre Liev ! Donc, il finit par trouver à se soulager derrière une petite construction en brique et se sent mieux. Soudain, il est abordé par un homme à vélo qui lui demande : « Qu’est ce que vous faites là ? » Etes-vous toujours capable de répondre à ce genre de question vous ? Moi pas ! « Ce n’était pas facile de répondre. Ce n’était jamais facile de répondre. » pense Liev qui lâche difficilement un « je… ». Impossible de poursuivre, son début de phrase se perd dans le vent…
En fait, Liev vient pour un emploi… qu’on ne lui donnera pas : celui de précepteur, pour la bonne raison … qu’il n’y a pas d’élèves ! « On n’avait pas l’air d’attendre Liev, à Kosko. »
A la place, un certain Monsieur Hakkell lui demande de recopier des factures dans un registre. Il est donc sous-intendant. Oui mais Liev est précepteur et pour être précepteur, il faut des enfants. Donc pour être Liev, je veux dire pour exister en tant que Liev, Liev a besoin d’enfants. Or, il n’y en a pas. Et donc Liev a du mal à être Liev. Il est comme dépossédé de lui-même.
Logique, terriblement logique…
Pas Liev est un texte fascinant parce que nous voyons le monde du point de vue d’un homme qui lui est étranger (Meursault n’est pas loin). Il ne comprend pas les signes que lui renvoie ce monde, ne déchiffre pas les mots qui lui sont adressés, ne semble pas connaître les conventions qui le régissent. Il se heurte à un réel de plus en plus opaque et brutal. Il se débat dans ses questions, ses interrogations, émet des doutes, essaie d’analyser, d’interpréter tant bien que mal des scènes comme s’il avait l’image mais pas le son.
Il demeure « en dehors, « à côté ». « Il est rare que la réalité coïncide parfaitement avec l’idée que l’on s’en fait. » se dit-il très justement. Et qui s’en fait une idée juste de cette réalité ? Liev ou les autres ? Existe-t-il d’ailleurs une « idée juste de la réalité », une façon d’appréhender de façon objective la réalité ?
Fou, Liev ? A moins que ce ne soient les autres… ceux qui l’entourent, le manipulent peut-être, ces êtres aux identités floues, qui semblent considérer Liev parfois comme un enfant ou une bête…
Liev sent (il ne sait pas, il sent) que l’atmosphère se dégrade, se veut menaçante et ne comprend pas pourquoi : « Et puis les choses sont allées moins bien ». Il apparaît si touchant dans sa naïveté, sa simplicité, justifiant tout comme il le peut, à sa mesure : « C’est parce que Liev était le précepteur qu’il n’avait pas de bureau. Il s’asseyait à cette table de sous-intendant pour rendre service. Il le faisait par gentillesse, presque par plaisanterie. Il jouait au sous-intendant. C’était une plaisanterie avec Monsieur Hakkell, qui faisait semblant de le prendre pour le sous-intendant. C’était drôle. » Et pourtant, la menace se précise et l’on sent qu’il cherche déjà à se rassurer.
Je pense aussi avec émotion à la scène sublime où il tourne sur lui-même sous le soleil éclatant de blancheur, dans la cour, ivre de bonheur à la pensée de Sonia, la fille de ses maîtres.
Fou Liev ? Enfermé, s’inventant un univers qui n’existe que dans son imagination, contemplant, halluciné, le monde à travers la fenêtre d’un asile, entouré d’infirmiers psychiatriques chargés de calmer sa démence ? Peut-être ou peut-être pas. Peu importe d’ailleurs.
Pas Liev est un texte essentiel, mythique, dont l’écriture, à travers des structures répétitives, traduit de façon très expressive l’enfermement de l’homme dans sa terrible folie ou son immense lucidité, sa volonté de percer le réel, d’y voir clair somme toute.
C’est une oeuvre qui met en scène un frère ou un cousin de Bartleby, de K., de Molloy, de Meursault et des petits fonctionnaires de Gogol, un homme qui s’interroge plus que les autres sur le monde et sur lui-même au point de se demander « si vraiment il était Liev, s’il était toujours Liev, si un jour il avait été Liev ».
Qui est Liev ? Peut-être vous, peut-être moi, vivant tant bien que mal cet immense malentendu de notre présence-absence au monde et jouant le rôle de ceux qui comprennent tout alors qu’ils n’entendent rien…

Désarçonnant...

9 étoiles

Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 9 mars 2016

Je vais essayer de vous parler du livre de Philippe Annocque. Ou pas.
De l'inquiétante histoire de Liev, ou Pas Liev, qui m'a désorientée, bouleversée, déstabilisée, gênée, dérangée, émue, contrariée, attristée.
C'est une lecture peu commune, un étrange remue-méninges qui affecte Liev, ce précepteur venu d'on ne sait où accomplir sa tâche. Surréaliste, ce mot convient. Ou pas.
Le cadre, une campagne à faux-plats qui s'étend à perte de vue. Une maison, grande bâtisse isolée semble-t-il, ou pas. Des personnages étranges et une ambiance inquiétante.
Ce livre met mal à l'aise. Ou pas.
On se surprend à s'attendrir, à sourire, à souffler parfois, à s'agacer de certaines répétitions qui heurtent l'esprit du pauvre Liev. Mille façons d'interpréter, de commenter, de s'énerver face à cet être qui oscille sur ses chaussures à bascule. Je l'ai vu souvent dodelinant de la tête, une petite musique à l'intérieur. Je lui ai souhaité quelques moments de lucidité, ses yeux bien qu'ouverts ne voyaient rien, ses oreilles n'entendaient pas, et les quelques mots qu'il prononçait n'étaient pas ceux attendus, c'est comme si ce personnage vivait dans une autre dimension.
Et puis, le dénouement, qui m'a poussée à terminer ce livre rapidement, non pas qu'il me déplaisait, mais il m'intriguait fortement, je voulais savoir...
Perdu, le Liev, ou pas Liev. Il est mais il n'est pas. Il fait mais n'agit pas.
Désarçonnant...

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