Désordres
de Paul Borrelli

critiqué par Natalia Epstein, le 13 novembre 2015
( - 43 ans)


La note:  étoiles
Terriblement noir et maîtrisé...
Après l'ombre du chat, qui m'avait énormément impressionnée, Borrelli récidive. On remarque tout d'abord que ce livre peut s'ouvrir même si on n'a pas lu le précédent. Des connexions existent, mais elles ne sont pas contraignantes. On ne tarde pas à comprendre que le commissaire Griffier est toujours aussi obsédé par sa verrue, que l'irascible inspecteur Canavese ne supporte pas Serge Lançon, véritable anti-héros de cette ambitieuse trilogie.

Lançon, personnage trouble, hanté par le désir de se voir reconnu en tant qu'artiste - et là on peut s'interroger sur l'auteur, lui-même peintre -, mais qui est obligé pour survivre de vendre des gadgets tueurs, qu'il conçoit et négocie âprement. Lançon qui se voit contraint de coopérer avec la police sur une affaire de meurtres. Des femmes blondes sont la proie d'un sadique qui les massacre de façon odieuse. Lançon qui justement, est amoureux d'une femme blonde...

Avec une rare maestria, Borrelli réussit à noyer le poisson, à embrouiller son lecteur, à déterrer de drôles d'os. Les enquêtes de Lançon et Canavese se poursuivent, chacun mettant au jour les pires bassesses de l'âme humaine, et ce qui m'étonne en le lisant, en le relisant, c'est le contraste absolu entre ce ton presque détaché, entomologique, ce style impeccable et glacé, et ce qui nous est décrit, si vivant, si biologique, si charnel. Par moments, on a le vif sentiment que l'auteur est tout aussi à vif que ses personnages, qu'il y a là un déchirement profond, un pessimisme radical, une vision de la vie quasiment gothique. Et nulle rédemption à la clé.

Le roman se développe majestueusement, nous emporte mais prend la liberté de flâner, de s'égarer... parfois dans des détails qui prennent tout leur sens plusieurs chapitres plus loin. Lançon, amoureux d'une belle et brillante avocate, qu'il ne réussira à revoir qu'à la fin du roman. Lançon, témoin ébahi du monde qui l'entoure (comme l'auteur probablement), obligé de s'investir dans une enquête qui intervient dans sa vie alors qu'il a largement autre chose à faire. Lançon, obligé de collaborer avec la Police, ce qui met l'inspecteur Canavese hors de lui, et blesse sa fierté.

Je ne dirai pas ce que l'enquête met à jour, c'est toujours une surprise avec Borrelli. Ou plutôt, un cadeau empoisonné...

Toujours aussi fort, impressionnant, terriblement maîtrisé. Du grand art !