Si le titre semble relever de la panoplie de ce que peuvent se dire les amoureux, l’œuvre, par contre, ne traite pas d’amour, sauf celui que le temps affadit. C’est au rythme de la violence que se construit ce drame familial qui est d’une profonde tristesse. Le couple formé de Léopold et Marie-Lou ainsi que leurs enfants pataugent plutôt dans l’aire du désespoir.
Michel Tremblay explore la violence intime mue par le monde extérieur. Les personnages, vidés de leur essence, vivent repliés au sein de la sacro-sainte famille québécoise et se soumettent aux oppressions engendrées par la bigoterie, l’alcool, le travail mal rémunéré et avilissant comme l’a montré Chaplin.
À toi pour toujours, ta Marie-Lou ressemble à un chant choral dont les quatre voix (père, mère et deux enfants) se soudent pour exprimer la tristesse de vivre. L’intrigue est nulle. Elle suspend son vol au-dessus d’un espace-temps d’où surgissent les déchirements de la souffrance morale. Comme pour l’œuvre de Tennessee Williams, la pièce de Tremblay est structurée pour laisser transparaître la solitude et l’incommunicabilité qui enferment les personnages dans un passé étouffant.
Pour les Français, la langue de l’auteur n’est pas aisée à décrypter. Il fallait faire le choix de se plier au langage montréalais qui est différent des autres régions, en particulier de la Gaspésie. Ce choix est capital pour exprimer les conditions de vie de la classe populaire de Montréal des années 1950 empreintes de religiosité et d’aspirations souterraines qui laissent présager en filigrane la révolution des mœurs des années 1960. Bref, bien comprendre le Québec passe avant tout par l’œuvre de Michel Tremblay.
Libris québécis - Montréal - 83 ans - 27 juillet 2015 |