Louons maintenant les grands hommes
de James Agee, Walker Evans (Photographies)

critiqué par Romur, le 1 mars 2015
(Viroflay - 50 ans)


La note:  étoiles
Entomologie
J’avais entendu des critiques très positives de cet ouvrage et l’introduction et la préface ont aiguisé mon attente : ce n’est pas un roman mais un témoignage, un reportage auprès de trois familles de petits fermiers blancs qui cultivent le coton dans le sud de l’Amérique dans les années 30. Le texte de James Agee est accompagné des photos de Walkers Evans, rendant le récit encore plus poignant car ces hommes, ces femmes et ces enfants ont un visage, un regard, et les descriptions de leur cadre de vie prennent plus de réalité. Je me suis lancé dans la lecture avec enthousiasme, traçant au début une carte selon les indications de l’auteur pour visualiser l’espace où vivent ces familles, faisant l’aller-retour entre le texte et les photos pour mieux les approcher.

Pour J Agee, ce reportage a été un choc profond et son témoignage est entrecoupé de réflexions personnelles, soit le reflet de ses sentiments et réactions, soit ses réflexions politiques, marquées par un profond pessimisme sur l’être humain et son existence. Ces coupures donnent un côté parfois un peu discursif au texte auquel on peut s’habituer. Ma déception n’est pas venue de là.

Ma frustration est venue du caractère minutieusement inhumain du récit. Il n’y a que quelques rares passages qui soient des scènes réelles, avec leur charge d’émotion (la famille endormie, le départ d’Emma et la rencontre avec les familles, lors de la première séance photo). Tout le reste est une description analytique, factuelle, scientifique et finalement désincarnée et froide des lieux, de l’habitat, de l’habillement, de l’alimentation, de l’éducation, du travail. Certes, des détails et annotations reflètent effectivement la souffrance et la fatigue d’un travail physique répétitif (séance de ramassage de coton), la misère (vêtements cousus dans des sacs de farine). Certes Agee se lâche parfois et nous livre de belles descriptions et de beaux moments de poésie. Mais à quoi bon l’énumération des débris tombés sous l’escalier devant la maison, le contenu des tiroirs ? Agee semble avoir douté de sa capacité à transmettre ce qu’il a vu et perçu et donc choisi de tout nous livrer, avec la froideur et le désordre d’un entomologiste qui ne serait pas capable de trier et hiérarchiser ses observations.

Soyez prévenu en ouvrant ce témoignage unique, il n’a pas le souffle et l’humanité d’un roman de Steinbeck.