Introduction à une sociologie critique : Lire Pierre Bourdieu
de Alain Accardo

critiqué par Elya, le 26 novembre 2014
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Sociologie et pertinence politique
Ce livre a été édité et repris de nombreuses fois depuis 1983. Son auteur, Alain Accardo, est un sociologue français qui a été formé par Pierre Bourdieu et a travaillé à ses côtés. Le sous-titre de cet ouvrage, "Lire Pierre Bourdieu", est assez explicite quand à son contenu : il reprend le cadre conceptuel, épistémologique de la sociologie telle que la concédait Pierre Bourdieu et ses acolytes, le synthétise, l'éclaircit, et se soucie tout autant de sa scientificité (de sa capacité à dire des choses plus vraies que d'autres) que de son utilité.
Lire Pierre Bourdieu pour moi est systématiquement un mélange d'enthousiasme, de frustration, de découragement, d'emballement. J'ai toujours l'impression qu'il est dit dans ses livres de grandes choses, mais que je ne suis pas en mesure de les saisir, et encore moins de me les approprier. La lecture (plutôt, les lectures) de cette Introduction à une sociologie critique ont donc été de réels délices, et même, si j'ose dire, une "révélation", tant Alain Accardo a su clarifier des notions et des mécanismes que j'ai vu auparavant évoqué des dizaines de fois sans les avoir compris.

De nombreux passages sont consacrés à remettre en perspective les deux principaux courants de la sociologie, la microsociologie (ou subjectivisme), qui se réduit à une phénoménologie des comportements individuels ou interindividuels déterminés, et la macrosociologie (ou objectivisme), qui se limite à une physique des faits collectifs et des déterminismes sociaux à grande échelle. Une réflexion épistémologique critique telle que celle portée par Pierre Bourdieu a fait émerger le structuralisme génétique, qui cherche à privilégier ni la statique ni la dynamique sociale, mais à intégrer ces deux approches en insistant sur l'importance du processus historique.
Concrètement, et c'est peut-être là que réside tout l'intérêt de l'ouvrage et de l'épistémologie qu'il prône, cette approche permet de définitivement rejeter tout déterminisme absolu et donc toutes les dérives idéologiques qui en découlent souvent, comme le racisme ou le sexisme. Aucune frontière précise et immuable ne doit être dressée autour de n'importe quel groupe social ; on doit plutôt se représenter un "arc en ciel social" aux zones fondues, se chevauchant. Aussi, il faudrait éviter de tout ramener aux relations inter-individuelles, à la personnalisation des expériences vécues, car cela peut conduire à une dépolitisation des problèmes, et suggérer des solutions palliatives, illusoires, qui ne traitent pas du fond.
Le structuralisme génétique nous permet d'améliorer notre connaissance du monde, des groupes et structures sociales. Mais il faut garder en tête que la connaissance objective du monde n'est pas du tout la fin en soi de la sociologie critique, qui cherche plutôt à "investir dans l'entreprise collective pour rendre le monde social meilleur", à "contribuer aux luttes par lesquelles les groupes sociaux s'efforcent de conserver ou de conquérir le pouvoir de diriger l'ensemble de la société pour leur plus grand profit", bref, à agir politiquement au sens large du terme.

Je ne peux que vous inciter à découvrir cet ouvrage, qui ne pourra que vous paraître plus clair après la lecture de ma tentative de résumé !