Batailles dans la montagne
de Jean Giono

critiqué par Chene, le 10 octobre 2014
(Tours - 54 ans)


La note:  étoiles
Hauteur inhumaine
Chêne rouge, site de Villard… Quatre hameaux perchés dans la montagne et traversés par un torrent. Un glacier surplombe le tout. Dans ce coin, ne passent que des bergers. Le récit se déroule en 1937, dans une France des villages d’avant-guerre.
Ce monde paisible va se trouver face à une catastrophe : la montagne s’écroule : »Tout Sourdie est en train de culbuter avec la forêt, sa terre et ses rochers ». C’est l’histoire de l’homme confronté au caprice de la nature. Celle-ci est belle, mais aussi violente, sauvage, indomptable et effrayante.
L’éboulement de terrain provoque une inondation. La rivière qui enserre les quatre hameaux déborde.
C’est la fin du monde pour les vieux. Une invasion par le haut.
Face à cette catastrophe naturelle, les villageois sont livrés à eux-même. Ils se rassemblent, font du feu, recherchent de la nourriture dans les maisons inondées, tuent les chevaux, essayent de survivre... Car ils sont coupés du reste du monde. On est loin de nos sociétés d’assistance et des technologies modernes.
Un homme solitaire, Saint-Jean va sauver et aider les habitants de l’inondation.
Dans cette œuvre, la montagne est elle-même un personnage. Une montagne « Léviathan » inhumaine et invincible.
Malgré quelques passages longs et répétitifs (Giono a un style propre, singulier, poétique, mystique, parabolique, comprenant des grandes descriptions et envolés sur la nature, les hommes, le pays, ce qui peut dérouter les lecteurs impatients et non avertis), « bataille dans la montagne » sent et transpire le bon pain, le feu dans l’âtre, l’odeur des brebis et des vaches à travers les cloisons des fermes, la boue de la montagne, la pesanteur de la forêt et la présence des torrents et des arbres. L’histoire sent aussi l’odeur de ces hommes torses nus, la pipe aux becs qui tentent « de dompter les choses de la terre, lentement, pesamment, jusqu’à ce que ça obéisse » .
Giono, Ramuz, parentés et dissemblances 7 étoiles

Ouvrage curieux dans la bibliographie de Giono. En raison du contexte géographique, avec des effets particuliers sur la lumière et la densité du temps, qui jouent ici dans un espace quasi confiné. J'y ai senti pour ma part une parenté certaine avec Charles-Ferdinand Ramuz (notamment Derborence et La grande peur dans la montagne). Giono transpose dans un milieu qui lui est moins familier que la Provence et les Provençaux une situation abordée dans un souci de translation de ses valeurs esthétiques à cet univers qui est à la Provence ce qu'Innsbrück est à Avignon, si je force le trait dans la comparaison.
Ramuz, dans l'esthétique du monde et le développement des sentiments de ses personnages, c'est le calviniste humaniste mais calviniste tout de même, qui brosse une fresque qu'Albert Dürer aurait pu entreprendre, ou Holbein, ou Cranach. Giono le latin agnostique mais familier des anciens dieux chtoniens, hellènes ou romains, s'empare de ce contexte et écrit comme Gustave Moreau ou Odilon Redon auraient pu peindre les paysages de Dürer. Il agite furieusement la brume alpine afin d'en faire sortir des éclairs colorés dans l'austérité des montagnes et des âmes. Il y réussit parfois assez bien. Mais ce n'est pas "son" terrain. A cette réserve près, et justement en raison de celle-ci le livre est tout à fait intéressant à parcourir.

Radetsky - - 81 ans - 11 octobre 2014