Ce petit recueil de nouvelles largement autobiographiques (on pourra saluer l'initiative prise par Le Livre de Poche d'introduire chacune d'entre elles par une petite notice la liant à la vie de l'auteur et/ou aux thèmes principaux de son oeuvre) nous entraîne dans la tourmente de la guerre civile en Ukraine, alors que l'URSS n'est encore que balbutiante.
Dans trois des nouvelles qui constituent le coeur du recueil, on verra donc s'affronter Bolcheviks et troupes nationalistes de Petlioura en toile de fond du destin des hommes qui en sauront les acteurs. Parfois, cet affrontement rend fou ("La Couronne Rouge"), parfois il est sauvage, comme cette attaque par l'armée ukrainienne de trois sentinelles Blanches ou Rouges - on ne sait pas. Cette nouvelle, "Le Raid", est saisissante de violence, non pas tant dans la description des sévices subis par les trois pauvres sentinelles, mais bien, plutôt, dans le style elliptique utilisé par l'auteur. C'est quasi-cinématographique, à l'image de ces têtes de chevaux qui surgissent de la brume ou de ces gros plans sur les jambes, les bustes qui traversent succinctement le rayon de lumière émis par une lampe à pétrole.
Au coeur du recueil, "J'ai tué" est admirable. Boulgakov aborde le thème ô combien intéressant de l'intellectuel qui, révolté par ce à quoi il assiste, décide de passer à l'action. Il est troublant de voir ce dandy intellectuel raconter à ses confrères avec le plus grand calme, avec - presque - fierté, qu'il a tué, et que ses connaissances médicales ne laissent planer aucun doute sur la question. Plus que jamais, le génie - ou du moins l'intellectuel - apparaît comme le cousin de l'assassin, reprenant ainsi un thème cher à Mann.
La première nouvelle du recueil, elle, se démarque un peu de ce contexte de guerre bien que la guerre civile et sa répression se trouvent en filigranes dans cette histoire de prince en exil qui revient incognito visiter son ancien palais. Là encore, folie et meurtre sont à fleur de peau dans un société déstabilisée.
Les deux dernières nouvelles se distinguent du reste de par les thèmes qui y sont abordés et leur atmosphère. Si elles nuisent quelque peu à l'homogénéité du recueil, elles n'en sont pas moins remarquables. La première, charmante, raconte la simple histoire d'un homme qui prend tendrement la place de père et de mari au sein d'une famille décomposée dans un immeuble communautaire de la Russie des années 20.
Enfin, le livre se clôt sur "L'Eruption étoilée", récit d'un jeune médecin confronté à une épidémie de syphilis. On le voit, désemparé et impuissant, devant la maladie qui se répand parmi des paysans qui ne la prennent pas au sérieux malgré les avertissements répétés du docteur ("Je découvris que la syphilis, ici, avait ceci d'effrayant qu'elle n'effrayait personne."). Cette histoire de médecin, c'est la rencontre de la ville et de la campagne, du savoir et de l'ignorance, des connaissances académiques et des réalités de la vie. Une rencontre, pas un choc, aucun affrontement. Juste une incompréhension mutuelle jusqu'à ce qu'il soit trop tard.
Stavroguine - Paris - 41 ans - 11 janvier 2009 |