La Crève
de Frédéric Dard

critiqué par JEANLEBLEU, le 23 août 2014
(Orange - 56 ans)


La note:  étoiles
Surprenant et très fort !
Dans ce roman de jeunesse (écrit en 1946 à vingt-cinq ans) Frédéric DARD relate, à chaud, une épisode pénible de l'histoire de France : l'épuration consécutive à la libération du pays à la fin de la seconde guerre mondiale.
Le grand Frédéric s'efforce d'exposer les faits (presque) sans jugement, même si l'on sent bien que sa sympathie allait clairement vers ceux qui n'avaient pas collaboré.
Ce roman consiste en un huis-clos entre un père et une mère (qui n'ont pas collaboré même s'ils n'ont pas été des résistants) et leurs 2 enfants, jeunes adultes, qui eux ont des choses à se reprocher : Louis, qui était milicien, et Hélène qui a eu des amants allemands (et notamment un officier). La famille s'est enfuie de chez elle pour protéger ses enfants de l'épuration et a trouvé refuge dans la chambre d'un autre milicien qui s'est enfui (et dont tout laisse à penser qu'il a dû être arrêté lors de sa fuite).
Frédéric DARD navigue ainsi de l'un à l'autre de ses quatre personnage pour montrer leurs motivations et leurs pensées. On constate que le père est un brave homme travailleur et teinté d'humanisme mais qui a du mal à exprimer ses idées ce qui l'a amené à laisser faire ses enfants (et notamment son fils) pendant la guerre. Cet homme se reproche d'avoir fait preuve de lâcheté en n'affrontant pas la situation aux premières dérives de son fils. Il se considère même comme coupable à la place de son fils pour cela. La mère n'a qu'une motivation : protéger et sauver ses enfants. Elle s'oublie complètement pour se donner entièrement à ses enfants et ne semble pas (ne veut pas) prendre complètement conscience de la gravité des actes de Louis qui a commis des crimes en tant que milicien.
Le fils, qui est un lâche sans cœur, nous émeut (même s'il est inexcusable) parce que nous découvrons qu'il n'est en fait encore qu'un enfant qui tente, sans succès, de cacher sa peur immense du châtiment derrière un grand cynisme, notamment envers sa famille.
La fille Hélène, est courageuse et lucide face aux événements. On sent que l'auteur a une grande sympathie et beaucoup d'indulgence pour cet être libre qui assume pleinement sa sexualité débridée tout en rêvant du grand amour.
Entre ces quatre êtres, le huis clos est vraiment étouffant...
Un roman très noir donc, mais superbement écrit par Frédéric Dard, à chaud, très peu de temps après l'époque relatée. Même si le roman est court (environ 150 pages), l'auteur y déploie déjà un style très luxuriant où les images et les aphorismes les plus forts se succèdent. De cette grande (trop parfois ?) densité de métaphores et de réflexions se dégagent une grande poésie et une grande tendresse envers le genre humain, malgré tout.
Frédéric DARD a manifesté son génie littéraire exceptionnel très tôt.