Dans la nuit la liberté nous écoute
de Maximilien Le Roy

critiqué par Blue Boy, le 9 juin 2014
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
L’histoire d’un vrai résistant
A l’âge de 18 ans, Albert Clavier s’est engagé dans l’artillerie coloniale française juste après la seconde guerre mondiale, dans l’espoir d’échapper à la misère et de faire de longs voyages. Mais il n’avait pas prévu qu’il serait forcé de combattre en Indochine contre le Viêt Minh. Révolté par les atrocités perpétrées par ses concitoyens, il va finir par épouser la cause indépendantiste et combattre aux côtés des Vietnamiens. C’est son histoire que retrace avec sensibilité Maximilien Le Roy, qui avait eu la chance de le rencontrer quelques temps avant sa mort.

Je ne connais aucune guerre coloniale dont la France peut se dire fière, et à juste titre. Celle d’Indochine n’échappe pas à la règle, et comme souvent, l’histoire officielle préfère mettre l’accent sur les bonnes intentions d’une « mission civilisatrice » plutôt que sur ses aspects moins glorieux. A travers cette BD-documentaire, l’auteur tente de rétablir une part de vérité, sans tomber dans le rôle du juge accusateur, en donnant la parole à ces « ennemis » que la République préférait voir comme de dangereux terroristes manipulés par la Chine et l’URSS, alors qu’en fait ils se battaient avant tout pour l’indépendance de leur pays. Albert Clavier, ce jeune soldat qui avait connu l’occupation nazie, ne pouvait qu’être révolté par l’attitude des Français qui parfois recouraient aux mêmes méthodes que leurs envahisseurs.

Le trait de Maximilien Le Roy, en apparence hésitant, quasiment à l’état d’esquisse, peut paraître incongru et peu adapté à un ouvrage de BD. Pourtant, l’auteur maîtrise incontestablement les attitudes et les expressions, réalistes et reproduites avec sensibilité. Pas de mise en couleur non plus ici, juste une bichromie un peu monotone aux couleurs d’une guerre sans gloire, pour évoquer un voyage dénué d’exotisme, si lointain soit-il. Une économie de moyens pour un résultat optimal, un parti pris minimalisme permettant de ne pas galvauder le propos, consistant à dénoncer une guerre injuste. Par ailleurs j’ai bien apprécié les portraits photo en annexe, notamment ceux d’Albert Clavier lui-même et de sa jeune épouse vietnamienne Oanh, portraits rendus plus émouvants par la lecture du récit.

Témoignage précieux d’un chapitre peu glorieux de l’Histoire de France, cet album est aussi un bel hommage à ce Français citoyen du monde, pour qui les idéaux de justice et de liberté primaient sur un patriotisme aveugle et imbécile, quel qu’en soit le prix à payer : la condamnation à mort infligée par une Marianne amnésique, oublieuse de ses cantiques révolutionnaires.