Les lunes de Mir Ali
de Fatima Bhutto

critiqué par Pascale Ew., le 1 mai 2014
( - 56 ans)


La note:  étoiles
L'empreinte de la haine
Fatima Bhutto choisit de nous présenter le destin de trois frères, Aman Erum, Sikandar et Hayat, pour représenter les choix qui s’offrent aux jeunes hommes de cette région rebelle du Pakistan. Leur père a combattu aux côté des rebelles et les a bercé de ses exploits et de ses rancoeurs. Il leur a parlé « des torts du passé, des injustices du passé, des erreurs du passé. Il n’y avait pas de futur, ni pour Hayat, ni pour quiconque à Mir Ali, tant qu’il n’y aurait pas eu réparation de ce passé. Et la seule façon de réparer était de sacrifier tout ce qui était à venir. (…) Il était bloqué dans son évolution par une injustice immuable. »
Comment réagissent les fils ? L’aîné, Aman Erum, n’a qu’une seule idée en tête : quitter son pays pour aller étudier aux Etats-Unis. Hayat, le benjamin, plus proche de son père, veut suivre les traces de ce dernier. Quant à Sikandar, il a choisi le camp des soigneurs puisqu'il est médecin et il est également du côté des victimes.
L’histoire devient par moment difficile à suivre parce qu’elle se déroule en même temps dans le temps d’une matinée (pour Sikandar et Hayat) et dans un flashback de plusieurs années (pour Aman Erum), leurs trois histoires s’entremêlant. La tension monte au fil des pages et le lecteur est introduit petit à petit dans ces destins dont les éléments sont fournis au compte-gouttes pour finir par recomposer le puzzle.
Ce livre permet de se mettre dans la peau de rebelles que la presse nous présente toujours vus d'en face, de comprendre leur point de vue. Il rappelle surtout que la haine n'engendre que la haine. La fin m’a parue très énigmatique et abrupte, sans explications, bref décevante.
mon pays 8 étoiles

Le Pakistan, un pays où fait rage la corruption, en proie au soulèvement des populations limitrophes de l’Afghanistan, les fameuses "terres tribales". Tel est le cadre de ce roman, écrit au vitriol, au travers des destins contrastés de trois frères issus de la bourgeoisie de Mir Ali, une ville frontalière du Nord Waziristan. Sikandar est médecin à l’hôpital public, Aman Erum, l’aîné, est de retour de ses études aux États-Unis et Hayat, le plus jeune, milite pour la même cause que son père : la liberté. Le livre se resserre au cours d’une matinée, mais les souvenirs déferlent, embrassant les années d’enfance et de jeunesse des protagonistes, nous donnant l’occasion de plonger au cœur des événements qui ont agité cette ville en sécession et sous contrôle permanent de l’armée. Les personnages sont attachants, notamment la jeune et valeureuse Samarra, qui accompagne Hayat au cours de cette matinée. Malgré quelques maladresses d’écriture, qui obligent le lecteur à chercher constamment des repères dans le temps, on se laisse aisément porter par le souffle de ce récit qui nous plonge dans une actualité brûlante. Malheureusement, le message délivré par l’auteure est assez flou. Ses convictions personnelles l’amènent à dénoncer les dérives d’un pouvoir central qui se laisse gagner par l’appât du gain et joue un double-jeu dangereux avec l’Occident (personne n’a oublié les rétro-commissions qui ont été à l’origine de l’attentat sanglant de Karachi en 2002). Mais la façon dont elle présente les combattants talibans, qui ont pris la tête de la sécession, laisse dubitatif lorsque l’on connaît leur cruauté et le sort qu’ils réservent aux femmes, au nom d’une lecture passablement obscurantiste des textes sacrés : elle les désigne plusieurs fois au cours du récit du nom de "justes" ou de "purs". Quelle justice ? Quelle pureté ? Celle dont on peut admirer le visage lumineux en troisième de couverture, que fera-t-elle lorsque les "étudiants" auront pris le pouvoir dans son pays ?

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 75 ans - 20 janvier 2018