Mourir, la belle affaire
de Alfredo Noriega

critiqué par Cyclo, le 22 avril 2014
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
une ville du tiers monde
Quito, capitale de l'Équateur, à près de 3000 mètres d'altitude, est une agglomération immense, mélange de cité moderne et de bidonvilles, où la mort fait partie du quotidien, dans une violence inouïe, qui est d'ailleurs autant celle du climat, avec les pluies diluviennes qui inondent rues et gens chaque jour, provoquant des glissements de terrain, que celle des hommes. D'ailleurs, les deux héros de ce roman, Heriberto Gonzaga et Arturo Fernandez, ont directement affaire à la mort, puisque le premier est inspecteur de police et le second médecin légiste. Ce sont deux hommes un candides confrontés à la noirceur humaine.
Au tout début, un banal accident de la route. Un frère et une sœur meurent, leur amie Maria de Carmen n'est que légèrement blessée. Le 4x4 Cherokee qui leur est rentré dedans a pris la fuite. L'affaire est rapidement classée. Bâclée, voire étouffée ? Sauf que deux ans plus tard, Maria de Carmen est retrouvée morte : suicide ? Ça relance l'enquête : Heriberto retrouve un témoin de l'accident et découvre que l'architecte Ortiz pourrait être le chauffard. Connaissant les lenteurs policières, soupçonnant que derrière tout ça, il y a peut-être autre chose (blanchiment d'argent), Heriberto n'hésite pas à abattre froidement Ortiz, mort dont sa fille Paulina, curieusement, semble soulagée. Mais le policier est désormais la cible des sbires d'Ortiz, qui remontent jusqu'à lui à partir de son passage chez le médecin légiste.
Roman « policier » hors norme, tout autant roman social et roman de mœurs, aux intrigues entrecroisées, dans un cadre pour moi nouveau (c'est mon premier roman équatorien), dont on pourrait dire que la ville de Quito est le personnage principal. Ce roman d'une noirceur terrible décrit un Équateur moite et fantomatique, à la fois religieux et fataliste : "personne ne sert à rien, nous ne faisons que passer le temps. Le reste n'est que pure invention". Car aucun des personnages ne parvient (ni ne cherche ?) vraiment à démêler l'écheveau complexe du destin. Chacun se pose la même question que le légiste : "Pour être tranquille, je ne devrais peut-être pas faire d'hypothèses sur ce que les autres imaginent". Un des policiers se demande : "C'est peut-être ça la vie, recommencer pour se faire croire que ça vaut la peine de vivre..."
Les personnages secondaires, nombreux, ont eu une vie souvent picaresque et colorée, tels le chauffeur de taxi ou la grand-mère du policier, ou enrobée de mystère, telle Paulina, dont on ne comprend qu'à la fin le fil de sa propre tragédie. Pourtant, beaucoup font preuve d'une bonne volonté candide, mais rappelle le médecin légiste, qui ne s'est jamais remis du décès accidentel de sa mère : "La bonne volonté, comme aurait dit ma mère, est le seul bonheur que possèdent les crétins."
Un roman étonnant.