Galantes chroniques de renardes enjôleuses
de Anonyme, Aloïs Tatu

critiqué par JulesRomans, le 29 avril 2014
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
En Chine le jeu des nuages et de la pluie se pratique largement à l'intérieur
"Galantes Chroniques de renardes enjôleuses" est un petit roman de 100 pages qui tient de la farce érotique fantastique et philosophique; chaque chapitre est introduit par une estampe érotique en noir et blanc. Traduite par Aloïs Tatu, présentée et annotée par Pierre Kaser, l'histoire est précédée d’une longue introduction qui précise en particulier que l’action est censée se passer sous la dynastie Song mais qu’aucun des personnages mis en scène ne renvoie à un homme connu de cette époque. L’histoire est suivie d’un court essai "Les renardes par l'une d'elles" de Solange Cruveillé sur la place des renardes dans la culture chinoise depuis l’Antiquité.

La figure littéraire de la renarde en Chine est très présente, c’est un être qui en tant que renard est lié aux forces cosmiques emmagasinées dans la terre où est son habitat, d’où sa longévité et ses pouvoirs magiques. La tradition veut que le renard puisse se transformer en jeune fille d’une beauté indescriptible pour séduire les hommes et leur choix se porte quasiment toutes les fois sur des lettrés. Cette dernière croyance remonte seulement à la dynastie des Tang, donc ne s’installe pas dans l’imaginaire de tous les Chinois avant le IXe siècle. Ainsi le " Xuanzhongji" ("Hsuan-tchong-ki") de cette époque avance-t-il qu'âgé de cinquante ans le renard peut se changer en femme, qu’à cent ans il peut en plus connaître tout ce qui se passe dans une province et déranger l’esprit des hommes. Pu Songling (1640-1715) fait de la femme-renarde une justicière, celle qui donne un coup de pouce au jeune lettré pour réussir les examens et lui apporte le véritable amour.

Si Robert van Gulik dans son fameux livre "La vie sexuelle dans la Chine ancienne" ne parle pas du "Yaohu yanshi" (nos "Galantes Chroniques de Renardes Enjôleuses" où "hu" désigne le renard) c’est qu’il arrête son étude à la chute de la dynastie Ming. Or notre livre remonte au dernier tiers du XVIIIe siècle, sans que l’on ait pu identifier son auteur.

Dans ce récit un jeune lettré, apparemment prude, est enlevé par deux irrésistibles fées renardes qui jouent les timorées. Deux esprits goupils sodomites, en embuscade se réjouissent mutuellement. La malhonnêteté n’est pas seulement chez les bandits mais a également atteint le Grand ministre Mei. Moines et paysans sont également représentés par des personnages dont la personnalité est développée. Après certains excès sensuels, le lettré rentre dans l’ordre confucéen en se mariant et en comprenant combien ses anciennes extravagances sont moralement condamnables.

La littérature chinoise a une longue tradition de romans érotiques et ni la pudibonderie des envahisseurs mandchous, ni celle imposée par les dirigeants maoïstes ne peuvent le faire oublier. Rendons grâce à l’éditeur Picquier d’avoir permis depuis une trentaine d’années d’accéder progressivement à la connaissance de ce genre littéraire. Dans le domaine de l'imaginaire lié aux renardes, on pourra prolonger par la lecture du livre "L'Esprit de la renarde : Une enquête du mandarin Tân" de Tran-Nhut.