La preuve par le miel
de Salwá al- Nuʿaymī

critiqué par Débézed, le 21 mars 2014
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Désillusion
Dans ce joli petit livre qui ressemble plus à un essai qu’à un roman, ou plutôt un essai qui se déguise en un roman pour ne pas endosser toute la gravité de ce qu’il évoque, cette poétesse syrienne nous emmène à la redécouverte des grands textes érotiques arabes médiévaux. « Certains invoquent les esprits. Moi, j’invoque les corps. Je ne connais pas mon âme ni celle des autres, mais je connais mon corps et je connais leur corps ». « Le Penseur » lui fait découvrir l’amour des corps sans l’amour des cœurs, la communion des corps dans la volupté chantée dans ces textes, la transgression qui submerge les tabous et exacerbe la liberté du sexe et à la plénitude des sens. «La morale qui est mienne guide mes actes et m’en donne la mesure. Selon les principes que je me suis donnés. L’effet de mes actes sur ma vie, cela seul m’intéresse : mon visage après l’amour, l’éclat de mes yeux, mon corps recomposé, les mots qui brûlent dans ma poitrine et les histoires qu’ils construisent ».

Bibliothécaire, elle est chargée d’explorer « l’enfer » de la Bibliothèque Nationale de France pour écrire un essai sur les grands textes érotiques arabes à l’occasion d’une exposition organisée à New York. Au cours de cette recherche, elle se met à rêver de cette époque où les corps étaient rois, où les mœurs étaient raffinées, où les hommes et les femmes vivaient dans une harmonie sexuelle irénique. Pour replonger au cœur de cette civilisation, elle éprouve le besoin de se ressourcer dans le monde arabe, elle se rend alors à Tunis où elle va à la rencontre des femmes arabes, les écoute et découvre l’étendue de la misère sexuelle dans laquelle elles vivent. « Comment parler même d’éducation sexuelle quand les rudiments de l’anatomie restent à apprendre ? » Elle mesure l’immense étendue qui sépare l’atmosphère raffinée qui baigne les textes érotiques des grands auteurs arabes médiévaux, du quotidien des femmes arabes d’aujourd’hui : le mariage qu’il faut bien accepter, le mari qu’il faut supporter et qui finit par tromper, les stratagèmes qu’il faut inventer pour vivre un peu d’amour…

La belle illusion qu’elle a vécue rencontre alors brutalement la triste réalité, la vie n’est pas un conte fantasmé mais une bien dure réalité que Salwa Al Neimi met en scène habilement dans cette histoire d’une femme qui croyait encore au raffinement érotique médiéval en explorant les textes classiques du genre et qui finit par accepter toute la banalité de son quotidien. Un joli texte empreint de poésie mais aussi une dénonciation ferme du sort infligé aux femmes dans le monde arabe contemporain.
Confidences féminines 5 étoiles

Je crois que le seul livre érotique que j'ai jamais lu est le best-seller "50 nuances de Grey". C'est dire mon inculture en ce domaine.
Pas forcément séduite à la lecture des premières pages, relatant un rapport sexuel, mon premier étonnement fut de découvrir que c'était une auteure qui avait écrit ces lignes. Fait assez rare, je pense. Puis, ce fut de l'admiration pour le courage qu'il a fallu à cette femme pour oser écrire sur un sujet, qui, s'il n'est plus tabou en Europe, est sûrement plus compliqué à aborder pour une femme syrienne.
"Tes principes te font craindre la société et le jugement de l'homme."

Prônant "la santé par le sexe ", elle revendique son "esprit polygame" ou plutôt "polymâles", en toute franchise, détestant l'hypocrisie sociale, la dissimulation, le silence, le vocabulaire métaphorique, déplorant le manque d'information sexuelle.
"Le scandale est-il de commettre un acte ou d'en parler ?"

Passés les premiers ébats, on se rend compte que ce n'est pas un livre érotique ou pornographique. C'est le récit d'une vie, d'une relation amoureuse réelle ou imaginaire. Avec cette façon originale et intéressante de nommer les hommes de sa vie : le Penseur, le Voyageur, l'éditeur...
C'est une dissertation, une réflexion sur la place de la sexualité dans la vie des femmes arabes, un recueil libéré de confidences féminines.

Marvic - Normandie - 65 ans - 13 juin 2017