La fin de l'homme rouge
de Svetlana Alexievitch

critiqué par Yotoga, le 12 mars 2014
( - - ans)


La note:  étoiles
de l'URSS à la Russie
La guerre froide est terminée depuis plus de vingt ans, mais la Russie post-soviétique est toujours à la recherche d'une nouvelle identité. Alors qu’à l'ouest on s’extasie encore sur la période Gorbatchev, certains en Russie préféreraient l’oublier. Entre temps, Staline est considéré, même parmi les plus jeunes, comme un grand homme d'Etat, et le passé socialiste est idéalisé nostalgiquement.

Comme une chorale de nombreuses voix, l’auteur collectionne les témoignages et les personnes interrogées racontent la transformation radicale de la société au cours des dernières années. Loin des chiffres statistiques ou des personnes célèbres, ici le russe lambda s’exprime sur son propre pays. On suivra un ancien prisonnier de camps, une femme politique, une victime d’acte terroriste, un oligarque, un émigrant... Les principales questions sont : quels souhaits avait le peuple dans les années 90 et lesquels ont été réalisés, et que veut le peuple actuellement ? Ce livre est une collection, comme un collage, de témoignages intimes et personnels. Elle a rencontré certains interviewés plusieurs fois et reporte les espérances de l’époque et les réalités actuelles, par exemple cette dirigeante du parti qui croit encore et toujours que le communisme est la meilleure forme politique pour l’être humain. Ces témoignages sont tous assez crus et poignants.

Les dénonciations, les camps d’internement, la misère sont les points qui reviennent dans les interviews des années 90. Le peuple veut une liberté. 20 ans plus tard, la liberté, cette liberté, les gêne. Chaque classe sociale se pose la même question : est-ce que la liberté, c’est d’avoir le choix entre 40 saucisses différentes ? C’est pour ça qu’on s’est battu un siècle ? Une personnage raconte qu’il a acheté ce matin trois journaux et dans chacun il y avait une vérité différente. Elle est où la vraie vérité ? Avant, le matin, il lisait le Prawda et il savait, il avait tout compris.
Certains sont débordés par toutes ces libertés nouvelles et préfèreraient avoir quelqu’un qui les décharge de prendre des décisions. Ce qui nous amène au deuxième thème redondant : celui du pouvoir. Staline est souvent représenté comme la force et souvent lié à une nostalgie. Surtout, les manques actuels de vision, d’idéale et de valeurs sont reportés sur ce passé si attractif à ce niveau-là. Aussi, le manque de cohésion sociale est dénoncé : les discussions dans la cuisine commune comme symbole d’une vie d’entre-aide sont idéalisés dans le monde actuel égoïste.

Certains dialogues sont philosophiques et permettent de faire le point sur une société nouvelle, et vu sous un autre aspect, autorisent une compréhension pour cette insatisfaction russe actuelle. Beaucoup de témoignages sont résignés et désemparés, perdus et laissent une impression d’espoir mort.

L’auteur, journaliste, est originaire d’Ukraine, a grandi en Belarus et décrit dans ses livres toutes les problématiques des anciens satellites. Elle a écrit sur les soldates en pendant la deuxième guerre mondiale (la guerre n’a pas un visage de femme), sur les familles des soldats morts en Afghanistan (les cercueils de zinc) ou sur le destin des personnes qui ont subi la catastrophe de Tchernobyl (la supplication). Ses livres dérangent les pouvoirs en place et sont interdits en Belarus, où elle vit tout de même.
La mort de l'homo sovieticus 6 étoiles

Le début des années 90 a vu disparaître l'URSS. La fin du communisme soviétique et l'arrivée du capitalisme russe. Un espoir pour beaucoup, une surprise pour tous. Mais au joug autoritaire et arbitraire de l’État ont succédé les violences nationalistes et le racisme. L'unicité soviétique n'était qu'un vernis artificiel sur une mosaïque de peuples prêts à s'opposer. Et la même misère comme trait d'union. Les conversations de cuisine se sont déportées dans la rue mais les espoirs ont été déçus. A la nomenklatura rouge a succédé un nouveau tsarisme.

Svetlana Alexievitch a compilé de nombreux témoignages à travers toute l'ex-URSS. Des personnes de toutes catégories, de toutes nationalités, de toutes opinions. Un point de vue non pas d'historien ni d'idéologue, mais du quotidien de ceux qui ont subi un tel renversement de valeurs. Entre les tenants du "c'était mieux avant" et ceux qui espèrent un avenir meilleur. Et l'état des lieux s'avère angoissant : il révèle un pays déchiré et torturé, malade et perdu. Les tragédies personnelles s'enchaînent sur fond d'alcool, de violence, de racisme, d'absurdité. Au gré des conflits armés, des détentions arbitraires, des violences civiles. Entre les nostalgiques d'un empire victorieux et les militants d'un capitalisme sauvage, où placer le curseur, où trouver sa placer?

Cet ouvrage est une façon d'appréhender toute la complexité de cette transition brutale et peut-être même d’entrapercevoir l'âme russe. Mais cette succession de témoignages, aussi édifiants les uns que les autres, confine à l'indigestion et épuise le lecteur, gavé de trop d'horreur et de détresse humaine.

Elko - Niort - 47 ans - 14 octobre 2018


Etrange 7 étoiles

C'est très intéressant et je n'arrive pas à m'y accrocher. Comprendre en quoi et comment le système communiste d'URSS a disparu et a été remplacé par un étrange système nouveau, c'est d'un prodigieux intérêt. Il semble qu'une extrême diversité d'opinions et de comportements au sein du peuple russe accompagne ces bouleversements. Cela va d'une nostalgie profonde pour le système communiste sur, il me semble, deux axes principaux: c'était simple, le système répondait à toutes les questions (par la Pravda); cela représentait pour beaucoup un idéal que l'avancée vers un capitalisme corrompu ne remplace pas. Puis il y a ceux qui critiquaient vertement le système soviétique pour ses exactions et malversations masquées par les mensonges officiels et saluent le changement. Dans cet ordre, de nombreux témoignages évoquent la figure contrastée de Gorbatchev, pour et contre. Le lecteur trouve donc tous les ingrédients d'un recueil aussi passionnant que les autres écrits de l'auteur, en particulier un nationalisme russe chevillé aux corps de ces interlocuteurs et déjà présent dans les autres récits. Pourquoi je n'arrive pas à m'y intéresser vraiment?: peut-être la lassitude devant la multiplication des témoignages, peut-être le fait que ceux-ci s'écartent sensiblement du sujet principal et reviennent sur ceux traités dans les autres livres (est-ce normal?), peut-être le fait qu'ils sont longs et, souvent, mélangés les uns aux autres (question de rédaction).

Falgo - Lentilly - 84 ans - 6 mars 2018