La porte ouverte
de Collectif

critiqué par Pierrequiroule, le 27 février 2014
(Paris - 43 ans)


La note:  étoiles
La valse des enfants disparus
En littérature fantastique, le spectre enfantin est sans doute la plus effrayante des apparitions. Peut-être parce que le monde des ténèbres offre un contraste choquant avec l’innocence généralement attribuée à l’enfant; peut-être aussi parce que le fantôme enfant est porteur d’une tragédie, celle d’une vie tranchée trop tôt, parfois dans des circonstances mystérieuses. Il arrive que le petit revenant hante les lieux de son décès pour culpabiliser ses bourreaux, mais c’est le plus souvent une jeune âme perdue, trop effrayée pour dénouer les liens qui la retiennent sur terre.

Les nouvelles rassemblées ici par Xavier Legrand-Ferronnière ont été écrites entre 1860 et 1930 ; elles nous viennent de Grande-Bretagne, cette patrie de la « ghost story », mais aussi des Etats-Unis. Dix histoires et autant de cris de l’âme…

Dans « Un petit fantôme » (Hugh Walpole), un homme ravagé par la disparition de son meilleur ami fait une rencontre d’outre-tombe plutôt réconfortante. Il en va de même dans « Le Fauteuil à bascule » (Oliver Onions) où un bébé peut-être imaginaire devient la raison de vivre d’une vieille dame. Quant aux fantômes d’A.M. Burrage, ils tiennent lieu de « Camarades de jeu » à une fillette solitaire.

Mais les spectres d’enfants témoignent aussi d’histoires douloureuses qu’ils ne parviennent pas à surmonter dans l’au-delà. Ainsi « Le Fantôme perdu » (Mary Eleanor Wilkins-Freeman) relate un cas de maltraitance particulièrement cruel. Dans « L'Intercesseur » (May Sinclair), un locataire se voit entraîné dans le passé sordide de ses logeurs et permet à une fillette décédée de se réconcilier avec ses parents.

C’est encore pour retrouver sa mère que le spectre de « La porte ouverte » (Margaret Oliphant) hante le domaine de Brentwood; sa persécution mènera le fils des nouveaux locataires au seuil de la folie. Dans « Le Grenier » (Algernon Blackwood), il s’agit au contraire d’une jeune âme en paix qui vient rassurer sa mère et … son chat.

La tonalité est très différente dans « L’enfant de la pluie » (Elia Wilkinson Peattie), récit étonnamment moderne: alors que sa fiancée vient de le quitter, un contrôleur voit le spectre d’une fillette apparaître et disparaître dans le tramway, comme une prémonition sinistre. Dans « Le Fantôme de Kentucky » (Elizabeth Stuart Ward), le revenant se fait franchement menaçant: séparé à jamais de la vieille mère qui l’attend au pays, le jeune mousse hante le navire de son assassin pour prendre sa revanche.

Dernière nouvelle du recueil, « Les pirates » d’Edward F. Benson est peut-être aussi la plus subtile, car les apparitions qui s’y manifestent sont fruits de la nostalgie du héros. Vous y apprendrez que même un homme d'affaires pragmatique peut devenir sentimental lorsqu'il est visité par les spectres de son enfance.

Ces récits, encore inédits en français, sont tous d’une qualité remarquable et d'une grande force émotionnelle. Ils illustrent avec brio le fantastique anglo-saxon, alliant tradition et modernité. Malgré la variété des atmosphères, le recueil possède une véritable cohérence. Le fantôme y tient une place ambiguë, à mi-chemin entre le surnaturel et la psychologie tourmentée personnages. C'est que la plupart de ces petits spectres figurent les regrets, la frustration ou la culpabilité des adultes. Au thème de l’enfant est étroitement associé celui de la maternité, ou plus généralement celui de la famille. Ainsi, au-delà des conventions du genre, ces « ghost stories » poignantes offrent une réflexion sur la fragilité de l’enfance et sur l’amour qui triomphe de la mort.