Dépêches du Vietnam
de John Steinbeck

critiqué par Poignant, le 17 janvier 2014
(Poitiers - 57 ans)


La note:  étoiles
Johnny s'en va-t-en guerre
Fin 1966, John Steinbeck, l’auteur des « Raisins de la colère » et des « Souris et des hommes », est une des consciences morales de l’Amérique. Couvert de récompenses littéraires (Pulitzer, Nobel…), le temps où l’on trouvait que ses romans sociaux sentaient le soufre communiste est bien révolu.
Mais il n’a plus rien écrit de consistant depuis des lustres et fait figure de has-been face aux nouvelles générations littéraires.
Malgré sa soixantaine bien dépassée, il accepte l’offre du journal « Newsday » de partir comme correspondant extraordinaire quelques mois au Viet-Nam et en Asie du Sud-Est. Comme son fils combat sur place, il part avec sa femme…

Soyons clair : à mon sens l’intérêt littéraire de ce document est très limité. Mais il a une vraie valeur historique.
Revenons au départ. L’année 1966 se termine. Johnson est le président américain depuis trois ans. Démocrate du sud à l’ancienne, empli des valeurs morales de la gauche Rooseveltienne, il est bien moins charismatique que Kennedy.
Depuis 1963, l’effectif des troupes américaines au Vietnam est passé de 15 000 « conseillers » à 400 000 soldats. Le nombre de tués ne cesse d’augmenter.
Les mouvements pacifistes commencent à prendre de l’ampleur. Le pays se divise entre les partisans et les antis guerre.
Steinbeck, ami du président, mais aussi humaniste idéaliste, veut comprendre ce qui se passe au Vietnam.
Il y débarque sûr de ses convictions, animé par un profond anti communisme, qui pour le meilleur trouble son discernement, et pour le pire le transforme en ridicule boyscout.

Steinbeck n’est pas un imbécile, et il cerne vite le fait que cette guerre est infecte, inhumaine, pleine d’innocentes victimes.
Il s’imprègne bien du sentiment diffus d’insécurité où règnent la mort et l’ombre de « Charlie ». Il découvre la complexité de l’orient, les écrits de Sun Tzu, la dimension psychologique des attaques Vietcong, l’archaïsme de la société Vietnamienne, les efforts titanesques à produire pour pacifier le pays.
Mais il ne voit pas qu’il est impossible de gagner cette guerre, aveuglé par la puissance des armes américaines et un manichéisme indécrottable. Il ne sent pas que l’Amérique perd son âme en envoyant ses jeunes conscrits mourir pour un pays au pouvoir pourri et corrompu. Il ne comprend pas que les GI’s à bout de nerf, en tuant quotidiennement des innocents, alimentent un sentiment antiaméricain bien plus puissant que la propagande communiste.

Ces dépêches sont donc l’illustration passionnante, touchante et consternante d’une Amérique qui va perdre ses valeurs, son honneur et 50 000 de ses enfants dans la boue et la jungle du Vietnam.
Ce n’est qu’à son retour au pays que Steinbeck prendra conscience de ses erreurs. Il mourra fin 1968, quand les dernières illusions de l’opinion publique américaine se seront évanouies…