Les états manqués : Abus de puissance et déficit démocratique
de Noam Chomsky

critiqué par Heyrike, le 17 novembre 2013
(Eure - 56 ans)


La note:  étoiles
Sens unique
Une fois de plus, Noam Chomsky s'emploie inlassablement à démonter pièce par pièce l'idéologie d'un pouvoir cloué au sol par la ploutocratie et les faucons ténébreux. Le pouvoir américain a dans le collimateur depuis de nombreuses années les "états manqués". Rentrent dans la catégorie "états manqués" ceux qui, pour des raisons politiques, religieuses, territoriales ou commerciales, représentent un danger potentiel pour les intérêts stratégiques et commerciaux des Etats-Unis. En vertu de cette doctrine préventive arbitraire, ils doivent êtres neutralisés ou mis sous contrôle.

Partant de cette définition sans appel, l'auteur démontre que cette même définition est tout à fait applicable au gouvernement américain totalement assujetti aux lobbies de tous bords qui le poussent à mener une politique de terreur envers les états qui refusent de céder à l'éminence grise de la mondialisation. Sous couvert de protéger la liberté et la démocratie à travers le monde, dont il serait le seul et unique rempart, le pouvoir américain use jusqu'à la corde sa prétention à incarner le seul modèle viable dans ce monde imprévisible qu'il a contribué à fragiliser. Convaincus de leur destinée manifeste, les Etats-Unis font fi des accords internationaux et de l'ONU, considérés comme des gadgets à partir du moment où ils s'opposent à la conduite de sa politique impérialiste.

L'absolutisme de cette vision aveugle, sorte de colin-maillard pervers, a provoqué le basculement du monde dans une ère encore plus terrifiante que celle de la guerre froide. Car si à cette époque "l'ennemi" était clairement identifié et "potentiellement" maîtrisable, ici pour le coup "l'ennemi terroriste" peut être dissimulé partout sans que l'on puisse vraiment prévoir ses agissements. En voulant faire main basse sur le monde, les Etats-Unis ont nourri les ressentiments des populations soumises à la loi du plus fort, un terreau propice au développement de la colère qui conduit à la résistance contre le maître du monde, attisant de fait les ardeurs extrémistes de tout poil, tel le docteur Frankenstein dépassé par le monstre qu'il a créé.

La politique extérieure des Etats-Unis sert aussi à mener un combat sur le plan intérieur. En plus de bombarder l'opinion publique avec une propagande digne des pires régimes d'oppressions, le pouvoir américain brise les libertés citoyennes sur le socle de la statue de la liberté, incarnation du rêve de toute une nation (et bien au-delà). A coup de batte de baseball, le pouvoir américain réduit en miettes les systèmes de protections sociales et de services publics qui assurent une protection à minima des plus faibles. Réductions budgétaires outrancières des pôles publics primordiaux et réductions des impôts pour les plus aisés sont la potion miracle pour assurer des nuits douces à la puissance de l'argent, le peuple devant se contenter du Mc Do, des séries TV et des médias embourbés dans la gangue politico-financière (sans oublier le dieu tout puissant du créationnisme).



L'auteur prend le temps de tout exposer et de tout analyser en prenant divers exemples dans l'histoire des relations des Etats-Unis avec le reste du monde pour mieux nous éclairer sur la réalité de ce pouvoir avide de conquête de l'ouest, de l'est, du nord et du sud.

Noam Chomsky est un arnacho-syndicaliste (non ce n'est pas un gros mot) qui lutte depuis plusieurs décennies contre la pensée unique d'un système de gouvernance entièrement dévoué à la sacro-sainte loi du marché et du grand capital qui endiguent toutes les aspirations légitimes des citoyens à une plus juste répartition des richesses et à une véritable représentation populaire au sein d'un gouvernement phagocyté par les monarques de la corbeille à dividendes. Je me dois de rappeler, une fois de plus, que l'auteur aime profondément son pays et c'est ce qui anime son combat contre tous les nécrophages des valeurs fondamentales de celui-ci. Parmi celles-ci, la liberté d'expression et la souveraineté populaire affranchie de la mainmise de l'oligarchie financière qui œuvre sans relâche à ses propres intérêts sans la moindre considération pour les citoyens électeurs, réduit à un substrat de consommateurs obèses.

Cet ouvrage a été écrit sous l'ère de Bush II, aussi avec l'avènement de Barak Obama, on aimerait croire que cette vision impérialiste a été abandonnée (espoir légitime et naïf en même temps). Bien sûr on retient, entre autres, son combat acharné pour établir une sécurité sociale, mais le camp de Guantanamo est toujours en activité, le règlement tant attendu du conflit Israélo-Palestinien a été glissé subrepticement sous le tapis du bureau ovale et l'affaire récente d'espionnage tout azimut des services de renseignement américain laissent entrevoir que les bons vieux réflexes n'ont pas disparu.