Madame Perfecta
de Antonine Maillet

critiqué par Libris québécis, le 6 juin 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Intégration d'une immigrante espagnole
Antonine Maillet est une auteure acadienne, c'est-à-dire une femme issue d'un groupe francophone hors Québec, qui habite le long de l'Atlantique. Dans Pélagie-la-Charrette, elle peignait une fresque historique, qui racontait le retour au bercail de ses ancêtres déportés en Louisiane par les Anglais. Cette oeuvre lui a mérité le Prix Goncourt en 1979.
Pour sa dernière oeuvre, Madame Perfecta, l'auteure a choisi un sujet moins ambitieux, mais tout aussi intéressant. Une immigrante espagnole fuyant l'enfer franquiste se retrouve comme domestique chez Madame Maillet, qui habite maintenant à Montréal. Bribe par bribe, elle réussit à connaître toute l'histoire ou presque de Madame Perfecta, qui n'est pas une grande causeuse. A travers elle, l'auteure étudie les conditions sociales de la femme exilée. À quoi peut-elle s'adonner en terre étrangère alors que les médecins même, dans un pays qui en manque de façon alarmante, doivent souvent conduire un taxi pour gagner leur vie du fait que leurs études ne soient pas reconnues? Il reste donc à ces femmes le service domestique ou les emplois routiniers et éreintants des manufactures. Chaque matin, elles se rendent au travail en autobus dans lesquels elles se reconnaissent et s'encouragent tout en protégeant leurs territoires. Ne va pas travailler à Outrement, un arrondissement huppé, qui veut. Il faut suivre une loi tacite. La dernière venue doit se dénicher du boulot dans les arrondissements moins favorisés, c'est-à-dire chercher un emploi moins rémunérateur.
Madame Perfecta a l'immense privilège d'être la domestique d'une romancière habitant Outremont et d'hériter par conséquent des avantages afférents : une belle maison entourée d'un grand terrain. Sa situation stable auprès d'une femme attentive, qui connaît ce qu'est le déracinement, lui permet donc d'organiser sa vie au profit des siens. Ayant trouvé en Madame Maillet une âme compatissante et encourageante, elle profite de son bon coeur pour se servir de son terrain afin d'y aménager un petit potager. Petit à petit, la vie de Madame Perfecta prend forme. On assiste ainsi à une intégration réussie d'une famille d'ailleurs en sol québécois, qui connaîtra enfin un peu de bonheur, comme en témoignent leurs fréquentations d'un camping.
La leçon de l'auteure est claire sans être moralisatrice. Par ses personnages, elle a peint un tableau réaliste de l'exilé sans le camper dans un tunnel noir et sans issue. D'autre part, avec son héroïne, elle montre comment une modeste contribution peut rendre l'espoir à des âmes vidées de leur essence par un exil obligé. Même si le matériel est autobiographique, il reste que c'est un vrai roman de par sa facture. C'est un roman d'autant plus précieux qu'il ne broie pas que du noir. Et ce n'est pas parce qu'il est écrit sous le signe de l'optimisme qu'il trace un portrait illusoire de l'intégration.
À ce roman sain qui a su éviter la vaine complainte s'ajoute le plaisir de lire l'oeuvre d'une bonne conteuse, qui a mis sa plume belle et souriante au service d'une cause humanitaire. Nata Minor a abordé un sujet semblable, mais sous un autre angle, dans La Partie de dames.