Servir Dieu en temps de guerre: Guerre et clergés à l'époque contemporaine (XIXe-XXIe siècles)
de Collectif

critiqué par JulesRomans, le 25 décembre 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Mon curé aux armées
La guerre crée un fort besoin de protection et l’on n’ignore pas qu’au-delà de l’appel aux serviteurs de Dieu à qui est consacré ce livre, des amulettes sont en possession des poilus. Certaines sont de dimension laïque comme les fétiches en laine Nénette et Rintintin (tirés de personnages de Poulbot), un ticket de métro aller-retour pour la station de métro Combat (devenue Colonel Fabien), un médaillon où est insérée une balle, d’autres renvoient à l’univers catholique ainsi le symbole du sacré cœur de Jésus et les images ou les médailles renvoyant à la Vierge, Sainte-Thérèse ainsi que Jeanne d’Arc.

Voilà un ouvrage "Servir Dieu en temps de guerre" qui est le fruit de différentes communications tenues lors d’un colloque à Lille des 9 au 11 novembre 2013. La période historique traitée démarre avec l’Empire et la Restauration et court jusqu’aux conflits d’Israël avec ses voisins.

Le premier texte de "Servir Dieu en temps de guerre" rappelle que de l’Espagne, à la Grèce et enfin en Algérie, la Restauration eût également ses guerres et créa les aumôneries aux armées. Se pose alors le problème de la juridiction canonique lorsque les aumôniers sont à l’étranger, est par contre étrangère à cette période l’idée de légitimer le combat mené par les troupes françaises.

Comme on le sait à un Louis-Bonaparte présidant de la République déclarant « l’Empire, c’est la paix » succède un Napoléon III qui va promener l’armée française d’Ouest (le Mexique) à l’Est (Chine) en passant par l’Algérie, l’Italie et la Crimée avant de déclarer la guerre à la Prusse. Aussi Jacqueline Lalouette va-t-elle comparer la place que prennent les célébrations des victoires militaires sous le Premier et le Troisième Empire. Il est cité un texte dit flagorneur de Mgr Bécherel évêque de Valence, parce qu’il valut à son auteur d’être quatre ans plus tard créé baron d’Empire, ce dernier déclare fin 1805 :

« S’il nous avait fallu vous exhorter à célébrer chacune de ses victoires et chacun de ses exploits, il n’y aurait pas eu de jour que nous ne vous eussions annoncé de nouveaux succès, et non seulement nous n’aurions pu les décrire d’une manière digne de leur sujet, mais encore il nous eût été impossible d’en suivre la rapidité ».

Jacqueline Lalouette ne cite pas la suite de ce texte, mais l’on sait par ailleurs que Mgr Bécherel continue en louant le désir de Napoléon de réaliser une paix durable et glorieuse. Si Jacques Garnier nous a dit dans "Les Bulletins de la Grande Armée" (livre critiqué ici) que Napoléon ne souhaitait pas que tous les numéros des "Bulletins de la Grande Armée" soient lus le dimanche à l’église, du moins n’hésitait-il pas à exiger de Portalis (fils), ministre des cultes, de demander aux évêques d’en faire lire certains et prenait-il lui-même la plume pour écrire aux archevêques de faire célébrer de solennelles actions de grâce pour remercier Dieu de la protection qu’il lui avait apporté pour remporter une victoire décisive (p.38-39). Elle rappelle par ailleurs que Napoléon III avait fixé au 15 août la date de la fête nationale, ce qui avait l’avantage de confondre la célébration de la date de naissance de Napoléon Ier avec la fête de la Vierge et de la consécration de la France à cette dernière à l’initiative de Louis XIII.

Qui dit guerre, dit paix et Guillaume Cuchet nous livre un intéressant article sur un dialogue religieux en France au sein de la Ligue pour la paix créée par Frédéric Passy, lorsque Napoléon III menace d’entrer en guerre contre la Prusse par ce que celle-ci ne le laisse pas annexer le Luxembourg. Ceci montre que les autorités catholiques étaient farouchement hostiles à ce mouvement alors qu'il n’avait en tête aucune préoccupation sociale ou de contestation du régime impérial. Ceci contrairement à la Ligue de la paix et de la liberté, où l’on trouvait Victor Hugo, Edgard Quinet, Garibaldi, Charles Lemonnier ou Charles Dollfus.

D’autres textes s’interrogent sur les actions matérielles et diplomatiques des congrégations dans les conséquences successives de la décadence de l’empire turc de 1856 à 1913. De nombreux autres articles réfléchissent l’opposition de la hiérarchie catholique vis-à-vis des Prussiens en tant que protestants pour la Guerre de 1870, sur les bénédictions des troupes, sur le désir de voir les religieux continuer à être exemptés du service militaire.

Arrive la partie II de "Servir Dieu en temps de guerre" où cinq textes évoquent des questions en rapport avec la Grande Guerre et ses conséquences, à savoir les deux révolutions russes qui s’en suivirent. Philippe Nivet s’interroge sur la résistance à l’occupant que montra le clergé dans les départements français envahis, des expériences et des regards critiques de religieux sur le front sont rapportés qu’ils soient catholiques ou protestants. Les juifs sont absents mais on dispose de l’ouvrage "Les juifs de France et la Grande Guerre" de Landau. Laura Pettinaroli mesure les conséquences de la guerre civile en Russie sur les communautés catholiques.

La troisième partie parle des choix d’opposition voire de lutte de religieux contre certaines dispositions prises par le gouvernement de Vichy ou les autorités nazies, par les gouvernements français lors de la Guerre d’Algérie (question de la torture en particulier), enfin des actions d’un professeur de l’université en études juives face à la politique d’occupation d’Israël. Une dernière partie invite en particulier à connaître certains fonds iconographiques et à réfléchir autour de la situation actuelle en matière de présence de religieux auprès des soldats.

Copieux dans les connaissances apportées, cet ouvrage est d’une lecture assez aisée car en traitant de points précis, chaque auteur contextualise habillement ce dont il va parler. "Un Lorrain dans la tourmente" d’Aloyse Stauder et Pauline Guideman aux Éditions du Belvédère, constitue un bon prolongement à ce livre, car c'est le récit d'un jésuite d'Alsace-Lorraine servant comme combattant sous l'uniforme prussien, jusqu'à ce qu'il déserte ; ce livre donne les propositions de paix formulées par Benoît XV en l'été 1917, Aloyse Stauder et les catholiques français les trouvent désastreuses par rapport aux buts de guerre de la France et de ses alliés.