Les incertitudes de l'heure présente
de Gustave Le Bon

critiqué par Elya, le 15 octobre 2013
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Forces rationnelles versus forces affectives et mystiques
On tombe facilement, dans une bibliothèque, à la librairie ou même dans une collection de livres électroniques, sur Psychologie des foules de Gustave Lebon. Cependant, d’autres essais édités de son vivant se dégotent facilement, parmi lesquels Les incertitudes de l’heure présente. Edité pour la première fois en 1923, il est un des derniers livres de l’auteur, décédé en 1929. Il est donc paru bien après Psychologie des foules qui date de 1895. Il reprend cependant les idées qui y sont développées, mais en les appliquant à de nombreux aspects de la vie en société (morale, politique, guerre, histoire, instruction, droit…).

La thèse principale de Le Bon, qui semble jalonner toute son œuvre, est que les convictions mystiques et sentimentales sont celles qui influencent le plus les comportements, les actions des individus, plutôt que leur raison, et ce particulièrement s’ils sont en groupe. Les personnes ayant du pouvoir s’appuient donc, de manière consciente ou non, sur l’entretien et l’excitation de ces convictions afin d’entreprendre des actions politiques, sociales… Ainsi, « La domination des forces rationnelles par les forces affectives et mystiques doit être toujours présente à l’esprit quand on veut comprendre la genèse des grands évènements qui perturbent la vie des peuples. » Cette thèse séduisante au premier abord, m’apparaît finalement avec un peu de recul comme simpliste et réductrice.

Si on pouvait déjà reprocher à Gustave Lebon de présenter ses travaux ou ses opinions sans trop faire d’effort pour les démontrer dans Psychologie des foules, c’est bien pire ici. Il nous dit à un moment qu’ « Un meneur doué de prestige n’a pas besoin de donner des explications » ; on a bien l’impression qu’il réalise cela, consciemment ou inconsciemment. C’est extrêmement dommage. Surtout que ce qu’il dit fait particulièrement écho en moi et que je serai prête à gober la plupart de ses propos si je mettais complètement de côté mes barrières critiques. Je suis partagée entre l’envie de dévorer toute son œuvre, parce que j’y trouverai une satisfaction immense, mais peut-être dupe, et la raison de m’y astreindre et de me référer plutôt à des ouvrages de psychologie sociale et de sociologie plus récents. Gustave Lebon manie donc à la perfection les arguments rhétoriques et s’appuie dessus pour donner plus d’étoffes à ses assertassions. Il se base même parfois sur des témoignages pour accorder plus de crédits à certaines conjectures, alors qu’il dénonce bien sûr le recours à cela dans un but de démontrer, notamment dans son ouvrage Bases scientifiques d’une philosophie de l’histoire.

Qui plus est, le livre se présente plutôt comme un recueil de citations et d’aphorismes que comme un essai ou une dissertation sur un sujet bien précis, avec un développement en conséquence. Il y a certes des chapitres et des sous-chapitres, mais les paragraphes s’enchainent cependant sans qu’aucun effort de transition ne soit réalisé.

Si j’ai été séduite par la thèse principale de l’auteur, j’ai plutôt grimacé à la lecture de certains passages témoignant d’une vision raciste (les nègres même instruits par une éducation classique ne deviendront jamais des hommes civilisés) et progressiste (au sens où les hommes sont devenus au fil des siècles plus intelligents que leurs ancêtres, même si on n’est pas à l’abri d’une décroissance). Je termine cet ouvrage avec finalement un avis mitigé. Je pense cependant me référer à d’autres livres de Le Bon, peut-être adressés à un public plus scientifique, pour voir s’il prend la peine de démontrer un peu plus ses allégations.