Dr House, l'esprit du shaman
de Martin Winckler

critiqué par AmauryWatremez, le 11 octobre 2013
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
Ecorché, cynique, misanthrope et humain comme le docteur House
J'avoue tout ami lecteur, je suis un fan de cette série mais pas tout à fait pour les mêmes raisons que d'autres. La première fois que je l'ai regardé, j'ai été sidéré de retrouver chez un héros de feuilleton les mêmes blessures, la même manière de percevoir le monde et de s'y heurter, la même appétence à mettre les pieds dans le plat par passion de la vérité, ou de ce qu'il estime être la vérité, et le même désir de déchirer le voile des compromis sociaux, ce qui est un comportement dangereux dans notre société où la soumission à l'esprit de troupeau et aux puissants, fussent-ils libertaires, aux autorités, aux lieux communs qui tiennent lieu d'opinions à de nombreuses personnes, est un fait acquis. House n'a aucun respect ni pour l'autorité, ni pour ce que pense la foule.

Toutes raisons pour lesquelles j'ai pensé que « Docteur House », ayant pour héros un écorché vif misanthrope et apparemment cynique, descendant d'une longue lignée d'anti-héros, dont Sherlock Holmes, ne durerait pas très longtemps vu sa conception très sombre de l'humaine espèce.

Martin Winckler, médecin et écrivain, a écrit ce petit livre sur ce personnage, le docteur Gregory House, à l'immense popularité à première vue paradoxale, pendant huit saisons, car se permettant constamment tous les outrages contre la bienséance contemporaine, politique, hygiéniste et sociale, toute aussi hypocrite que l'ancienne voire plus car se parant des oripeaux de la liberté. Je dis bien paradoxale, car au fond cette bienséance est très superficielle et sous le vernis d'altérité et de souci vaguement humanitariste de l'autre, de la diversité, des communautés, se cache un égoïsme profond. « Tout le monde ment » dit House, lui compris, ce qu'il admet sans difficultés, la différence étant qu'il ne triche pas avec ses faiblesses, et tout le monde se ment plus ou moins.

L'auteur de cet essai analyse le personnage en utilisant les adjectifs qui lui sont habituellement accolés. Parfois il contredit les préjugés sur le cynisme supposé du personnage, sur son absence supposé de sentiments voire de compassion, et son goût certain pour bousculer les conventions, les certitudes et les préjugés. Il montre aussi que c'est surtout un homme blessé de par son hyper sensitivité au monde. C'est le problème des personnes dotées d'un minimum de cervelle, percevant mieux le monde qui les entoure, elles en ressentent également mieux les manques et les médiocrités, sa bassesse et parfois son abjection satisfaite, et parfois elles osent se demander ce qui légitime l'autorité de ceux qui s'en réclament.

Cette série est populaire car elle permet à l'employé coincé dans son « open space » aliénant, au salarié subissant sans broncher un chef de service débile, au fonctionnaire ne supportant plus son travail de se défouler par procuration tout en continuant de se comporter en esclave soumis, docile et polyvalent le reste du temps. C'est un peu comme la sainteté, l'héroïsme ou la bonté, c'est toujours mieux de la porter aux nues chez les autres, et non d'essayer de trouver en soi-même des ressources pour épanouir ces qualités chez soi.

Ainsi que le souligne l'auteur de cet ouvrage, ce n'est pas vraiment les intrigues médicales qui font l'intérêt de « Docteur House ». Elles sont généralement parfaitement irréalistes et exagérées, même si toujours inspirées d'anecdotes réelles. Il faut bien pour dramatiser les enjeux accélérer les maladies, et les analyses demandées par les médecins qui reviennent dans l'après-midi ou au pire le lendemain, ce qui dans la réalité est hautement improbable.

Ce qui fait l'intérêt de cette série c'est ce que les énigmes médicales révèlent de notre société, de ses mensonges, de ses multiples hypocrisies, de questions sociétales brûlantes jamais traitées sous un angle manichéen, et des personnages, en particulier House lui-même partagé par des aspirations complexes. Il aimerait bien parfois être comme tous les autres, ce serait plus confortable, mais il renonce quand même à cette pseudo-normalité qui est l'autre nom du conformisme confondu avec de la prétention par le pékin moyen qui ne supporte pas ce qu'il prend pour une envie de se distinguer.


J'ai quand même une différence majeure avec House, je crois en Dieu, ce qu'il se refuse à se faire, ce qui ne l'empêche pas de se questionner souvent : ainsi dans l'épisode où il est fasciné par l'expérience de « Near Death » d'un patient qui l'a littéralement fait exprès, et qu'il en discute avec passion avec une religieuse dans un autre. Le fait de savoir que lorsqu'il y a de « l'homme il y a de l'hommerie » (de l'avidité, de la haine, de la sottise, de la violence etc...) et l'absence d'illusions sur ses congénères n'interdit pas la Foi, et la Foi en un Dieu incarné dont le triomphe est finalement complètement absurde aux yeux des autres pitoyables primates humains que nous sommes qui ont la vue courte.