La Derelitta
de Vera Feyder

critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 11 mai 2003
(Liernu - 56 ans)


La note:  étoiles
Récit "bifurqué"
Eva reçoit un curieux coup de téléphone le soir du réveillon de Noël.
Une vieille dame prétend qu’elle est sa nièce et qu’elle lui avait promis de venir lui rendre visite.
Eva n'est la nièce de personne mais elle profite de cette méprise pour quitter la fête en catimini.
Oh, tout le monde est habitué à ce qu’elle s'éclipse au beau milieu du dîner, soi-disant pour reprendre le flambeau de sa cuisinière, malade.
La cuisinière n'est pas malade, Eva lui a donné congé car ainsi, elle peut s’échapper de l’ennui que lui inspirent ces dîners.
Un ami, qui voudrait être plus qu'un ami, s'est rendu compte de son stratagème.
Voilà qu'elle l’embarque dans son escapade nocturne.
Eva entre dans la maison inconnue, constate que la vieille dame vient de mourir et en ressort avec une cage et un oiseau inerte sous le bras.
Elle ne rentre chez elle que pour subtiliser l’argent liquide de son mari et repart dans l’instant.
Destination Cap Gris-Nez, dans une pension par elle autrefois visitée.
Pour avoir la paix, elle s'invente sourde.
Elle rencontre le facteur, puis le médecin.
Tous deux, comme dans les romans faciles, vont tomber amoureux d’elle et mettront leur vie à ses pieds.
Mais ce n’est pas un roman facile…
C’est, ce n’est pas…
Où s'arrête la réalité, où commence le cauchemar ?
Où l'anecdote perd-elle son apparente légèreté pour devenir drame ?
Ce livre est bourré de références autobiographiques que vous comprendrez en lisant la biographie de Vera Feyder en fin de volume et la préface de Jacqueline Harpman.
Le pivot du livre se situe dans la syntaxe.
Tantôt à la première personne du singulier, tantôt à la troisième, l’auteur parsème son texte d'indices.
Rien n’est laissé au hasard.
Tout contribue à ce sentiment d'étrangeté, tout crie le désespoir, la fuite (« c’est à elle-même qu'Eva est sourde » J. Harpman), la mort.
Le froid dans lequel baigne ce roman est communicatif.
Le style est recherché, c'est qu’elle écrit bien, Véra…
Et puis les dernières pages, difficiles à suivre, pleines de délire, une folie que l'on comprend et puis qui nous laisse haletants.
Un livre différent, truffé de symboles, à la douleur bouleversante.
Et Jacqueline Harpman de conclure : « Et Vera Feyder sourira sans rien dire, débarrassée de cette part d'elle qu'elle a nommée Eva Stoffel et enfermée entre les pages d'un livre, dans les petits caractères noirs où on vit éternellement, hors d’état de nuire ».