Les Antimodernes: De Joseph de Maistre à Roland Barthes
de Antoine Compagnon

critiqué par Vince92, le 17 août 2015
(Zürich - 46 ans)


La note:  étoiles
Des antimodernes
Antoine Compagnon, titulaire de la chaire de littérature moderne et contemporain au Collège de France, dessine dans ce livre un paysage de l’antimodernisme intellectuel dans la France post-révolutionnaire jusqu’à aujourd’hui.
Cet essai est construit en deux parties: la première examine les attributs que se partagent, ou non, les antimodernes, la seconde donne le portrait de quelques-uns de ces intellectuels qui n’aiment pas leur époque. Antoine Compagnon nous met cependant en garde, il ne faut pas confondre les antimodernes et les réactionnaires, ceux-là sont en effet des modernes qui s’opposent à la modernité. Pleinement engagés dans leur époque, ils en font la critique, essayant de contrer ses effets néfastes…
Une recension exhaustive de cet ouvrage savant, complet et parfois difficile d’accès serait sans doute fastidieux et de toute façon mal négociée par un lecteur parfois peu attentif et dont les connaissances font bien modestement défaut pour saisir l’ensemble des propos tenus par l’auteur . Je m’essaye néanmoins à donner les grandes lignes des idées développées dans l’ouvrage... Ainsi, les antimodernes sont-ils ces auteurs qui partagent plusieurs valeurs, Compagnon en distingue six dans des domaines différents : ils seraient politiquement contre-révolutionnaires, philosophiquement anti-lumière, moralement pessimistes, religieusement attaché au concept de péché originel, esthétiquement enclins à rechercher le sublime et abordant dans leur expression un style vitupérant. Voici une définition assez restrictive mais qu’Antoine Compagnon ne suit pas toujours à la lettre lorsque dans la deuxième partie il va examiner certaines figures du paysage antimoderne. Par exemple, et ces deux personnalités sont caractéristiques de la confusion que tout à chacun peut commettre entre l’anti modernisme et la détermination politique des auteurs, Julien Benda et Roland Barthes sont-ils l’objet de deux chapitres entiers visant à démontrer leur appartenance à cette grande famille. Mais le lecteur n’a pas la conviction, même à l’issue de cette démonstration, que Barthes par exemple réuni l’ensemble des caractéristiques définies au premier chapitre…on peine en effet à déceler la critiques des lumières dans l’œuvre de Barthes et ce chapitre vise plus à démontrer que ce dernier, à la fin de sa vie, est revenu sur ses positions sur les avant-gardes. Mais il y a loin entre se raviser partiellement et être classé comme antimoderne... A ce compte, pourquoi ne pas ranger Michel Foucault dans cette famille? Plus convaincants, les chapitres dans la seconde partie consacrés à Julien Gracq, Charles Péguy ou Lacordaire...
En définitive, cet essai qui vise à structurer la notion d’anti-modernisme n’est que partiellement réussi selon moi (je mesure une nouvelle fois l’inanité d’un tel jugement de ma part sur le travail d’un professeur au Collège de France). J’attendais sans doute plus de clarté, un tableau plus précis de ce courant de pensée, une actualisation de son état aujourd’hui. Qui sont les auteurs actuels pouvant être classés comme tels : Finkielkraut ? Onfray ? Alain de Benoist ? Se pose à ce stade la connaissance des penseurs contemporains : que laisseront à la postérité ces intellectuels qui font parfois la une des émissions de télévision mais dont on peut douter du passage à la postérité? Au contraire des intellectuels cités par Antoine Compagnon, dont Joseph de Maistre et François-René de Chateaubriand sont les figures de références omniprésentes de l’ouvrage, nous ne savons pas si ces quelques intellectuels parviendront à renouveler la pensée antimoderne et gagner ainsi, dans leur sillage, la bataille culturelle.
Sur l’histoire des idées à travers l’éloge critique de la littérature 8 étoiles

Le romantisme dans la littérature du XIXe illustre une tradition antimoderne comme résistance à la pensée des Lumières du XVIIIe et à la Révolution qui lui a succédé, pensée unissant science et progrès social dans une autre vision du monde. Eloignée du conservatisme réactionnaire ou du néoclassicisme, imprégnée de catholicisme renaissant c’est par Chateaubriand qu’elle s’exprime alors le mieux. L’anti-modernité rapportée à la création littéraire au sens que lui donne Antoine Compagnon est une autre face de la modernité, sa face négative et ambiguë issue d’une classe de grands écrivains qui après avoir été précurseurs pour la plupart se sont retrouvés en marge d’une façon ou d’une autre. Ils ont en commun, ces auteurs, un pessimisme opposé au progrès qui s’est répandu depuis l’ère industrielle, la crainte du déclin de la littérature marquée par la perte du langage qui en faisait toute la beauté, et que seule la poésie pourrait encore sauver. Avec érudition et brio Antoine Compagnon retrace deux siècles de création littéraire avec ses faits divers d’affrontements et de batailles, d’engagements et de trahisons, d’amitiés et de ruptures, dans une douzaine de monographies qui n’ont pas fait l’unanimité mais dont il assume les choix auprès de ses détracteurs.

Colen8 - - 82 ans - 2 mars 2018