Se souvenir de 1942
de Liu Zhenyun

critiqué par JulesRomans, le 13 avril 2013
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
Famine en Chine
Voilà un livre bien dans la tradition des romans chinois, dépeindre les turpitudes en cours sous la dynastie du rang juste précédent pour interroger en filigrane sur le pouvoir en place. Ce récit prend la forme d’une enquête où les survivants du tout début des années 1990 sont interrogés et des documents d’époque sont convoqués.

C’est une implacable critique de la façon dont le gouvernement de Tchang Kai-check (Jiang Jie Shi) s’et comporté vis-à-vis de la population chinoise durant l’année 1942 au Henan (province centrale de la Chine). En effet durant cette période les responsables du Kuomintang (Guomintang) ne changeront pas d’un iota leur politique de prélèvement drastique des impôts et nièrent la réalité de la famine pour justifier leur inaction en faveur de cette province, puis la petite aide apportée se vit détournée au profit des fonctionnaires et de l’armée.

Deux choses remarquables ressortent, la première est que ce sont les actions d’un journaliste américain qui en révélant à l’autre bout du globe le drame permirent à quelques rares journaux chinois de l’évoquer (même s’ils furent frappés peu après de quelques jours de censure). La seconde est que les habitants du Henan s’attaquèrent aux forces nationalistes qui permettaient aux fonctionnaires chinois d’opérer des prélèvements monstrueux (vue la situation) quand elles ne confisquaient pas illégalement certaines productions.

Ainsi les gens qui peuplaient cette province facilitèrent grandement l’action de pénétration des Japonais dans le Henan ; l’évolution du front durant les années 1943 et 1944 le montre très bien. Les Japonais apportèrent même une aide alimentaire dans un but de propagande visant à consolider le gouvernement collaborateur de Nankin opposé à celui des nationalistes alors réfugiés à Chongqing dans le Sichuan. Ainsi, ce qui aux yeux de Tchang Kai-check (Jiang Jie Shi) passait pour au mieux une affaire de détail et au pire pour des mensonges, eut de graves conséquences sur l’état de ses armées chinoises. Au sujet de la situation début 1944, l’auteur écrit page 117 :

« Comment l’armée japonaise a-t-elle pu anéantir avec ses soixante mille hommes l’armée chinoise forte de trois cent mille soldats ? Simplement en distribuant des vivres et en s’appuyant sur le peuple. Un peuple qui était nombreux et qui existait. De l’année 1943 au printemps 1944, nous avons apporté notre aide à l’envahisseur japonais. Sommes-nous pour cette raison des traîtres à la nation vendus aux ennemis ? ».

L’auteur conclut qu’à mourir de faim en pauvres diables chinois et ne pas mourir de faim en sujets d’une nation asservie, le choix de la survie fut évident. Il est à noter la quasi impasse faite des actions de l’Armée rouge durant cette période. Quoique très irrévérencieuse, elle est assez proche de la réalité car en de nombreuses régions un pacte de non-agression avait été signé entre les militaires chinois au service du gouvernement pro-nippon de Nankin dirigé par Wang Jingwei et les forces communistes (ces deux forces toutes les deux hostiles au gouvernement nationaliste). Par ailleurs un réel souci d’épargner les maigres troupes communistes se traduisit par des actions limitées en matière de guérilla. Un contenu bien loin de la légende dorée d’un PC chinois fer de lance de la lutte contre les Japonais…

Au moment où cette traduction en français sort, une adaptation cinématographique vient d'être réalisée par Feng Xiaogang, avec des stars chinoises comme Zhang Guoli et Chen Daoming (habitué à jouer Tchang Kai-check ou les empereurs chinois) ainsi que des figures hollywoodiennes telles qu’Adrien Brody et Tim Robbins.