La dernière lettre, suivi de "Les carnets d'Ikonnikov" et de "Un témoignage sur le destin de Vassili Grossman"
de Vassili Grossman

critiqué par Jules, le 6 février 2003
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
A lire !
Dans ce petit livre, les éditions « L'Age d'Homme » nous présentent trois textes différents. Les deux premiers sont extraits du livre « Vie et Destin » de Vassili Grossman et le troisième
s’intitule « Un témoignage sur le destin de Vassili Grossman » et est écrit par Sémion Lipkine.
« La dernière lettre » est un texte bouleversant qui se situe au moment où les Allemands, venant d’occuper un nouveau petit village d'Ukraine, installent des barbelés tout autour de la vieille ville pour y parquer la population juive. Plusieurs Ukrainiens du village sont tout aussi bouleversés que les Juifs.
Une femme médecin, juive, écrit ce qu’elle considère comme étant sa dernière lettre à son fils qui vit bien loin de là, à l’arrière des lignes du front. Ce texte est bouleversant et montre bien à quel point l'espoir peut survivre malgré tous les pressentiments et même les évidences. La vie quotidienne conserve ses droits alors que nous sommes en pleine folie meurtrière.
Vassili Grossman a toujours été très marqué par la légende du Grand Inquisiteur dans « Les frères Karamazov » de Dostoïevki. Cette lettre est son pendant dans « Vie et Destin ».
Le second texte s’appelle « Les carnets d’Ikonnikov »
Vassili Grossman s’interroge sur le bien et le mal à une époque où celui-ci semble totalement triompher. L’individu est massacré et nié tant du côté nazi que du côté soviétique. Selon lui, au plus les philosophes et les religions ont tenté de définir le bien, au plus celui-ci a reculé. A chaque fois que l’homme a tenté de structurer le bien, celui-ci a été plutôt vaincu par le mal. Il en veut pour preuve le catholicisme. Jésus, selon lui, prononce probablement les plus belles phrases sur ce qu’est
le bien. L’Eglise se fonde et l'on est parti pour les divisions à l'infini et les plus grands crimes commis au nom de ce même bien.
Il nous dit : « Non seulement les hommes mais même Dieu n'a pas le pouvoir de réduire le mal sur la terre. » Mais cela ne veut pas dire que le mal vaincra le bien ! Il n'y arrivera jamais, le tout est de s'entendre sur ce qu’est le bien. Pour Vassili Grossman, le bien est partout où l'homme n'a pas voulu le structurer, car toute structure suppose une tentative de s'imposer aux autres structures. Pour lui, le bien se trouve dans le geste individuel, tout à fait spontané et gratuit. « Cette bonté privée d’un individu à l’égard d’un autre individu est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie. On pourrait la qualifier de bonté sans pensée. La bonté des hommes hors du bien religieux ou social. » Et il poursuit : « En ces temps terribles où la démence règne au nom de la gloire des Etats, des nations et du bien universel, en ce temps où les hommes ne ressemblent plus à des hommes…..en ce temps de terreur et de démence, la pauvre bonté sans idée n’a pas disparu. »
Le troisième texte a été écrit par un homme qui connaissait très bien Vassili Grossman et qui nous explique l’homme, sa pensée et son oeuvre.
Une merveilleuse idée des « Editions L'AGE D'HOMME » que d'avoir fait ce petit livre qui donne un concentré de la pensée de Vassili Grossman pour ceux que l'épaisseur et la densité de ses livres pourraient rebuter.
A lire absolument !
« La dernière lettre » a été portée au cinéma par Fred Wiseman et le film serait sorti dans les salles en novembre 2002.