L'écrivain public
de Pierre Yergeau

critiqué par Libris québécis, le 26 janvier 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'Abitibi des années 1930
Après une suite montréalaise, Ballade sous la pluie et Du virtuel à la romance, Yergeau s'est tourné vers sa patrie d'origine, l'Abitibi des années 1930. Au lieu d'écrire une saga qui serait une espèce de fourre-tout, il a limité son sujet à des personnages significatifs que l'on ne pouvait ne pas rencontrer à l'époque, soit les bûcherons et le clergé. Ils auraient pu ajouter les mineurs, mais il s'est limité aux deux premiers.
L'auteur nous emmène donc en pleine forêt boréale pour nous faire partager la vie d'un camp de bûcherons. Vivent avec eux trois orphelins de père, élevés par une grand'mère qui est la cuisinière de ces travailleurs forestiers. Quant à la mère des enfants, elle a pris la clef des champs pour refaire sa vie sans ses rejetons.
Ce roman présente avec humour l'univers de leur enfance. On sourira quand on verra la grand'mère coucher la benjamine dans une énorme marmite suspendue au plafond. On s'amusera aussi avec les enfants quand ils joueront dans la neige alors que la petite soeur se retrouvera à son insu à l'entrée de la tanière d'un ours noir en hibernation. Ils ne sont pas malheureux parce qu'ils reçoivent l'attention de tous et chacun. Tous les bûcherons voudraient manger (sens affectif) la petite Michelle-Anne comme de la Mie, le diminutif qui sert à la désigner.
Derrière ce tableau qui respire la joie, se profile la société québécoise de l'époque. Les enfants vieilliront évidemment. L'aîné quittera le camp pour les états-Unis, se joignant à l'exode des Québécois qui préférèrent aller vivre aux «States», comme on désignait le pays de nos voisins du Sud, pour échapper à la crise économique. Ce garçon est attiré par une vie qui ne soit pas marquée par son passé. Son frère Jérémie est plus intellectuel. Un prêtre s'occupera de son instruction, ce qui était souvent le cas dans les villages éloignés, car il faut savoir que le ministère de l'éducation du Québec fut créé seulement en 1964. Il en fera à seize ans son secrétaire, qu'il emmènera vivre à l'évêché afin de l'aider dans son travail d'archiviste au diocèse d'Amos.
L'auteur se sert de cette relation d'un prêtre et d'un adolescent pour souligner de façon loufoque l'immense pouvoir du clergé à l'époque. Quand ce jeune se met à quatre pattes pour servir de table au prêtre qui consigne ses données dans les archives, on se demande si cette caricature veut indiquer par là que la population rampait devant l'église. L'exemple est plus éloquent quand tous les deux visitent les paroisses du diocèse pour vendre des indulgences qui se vendent comme des petits pains chauds à un peuple de soumis. Il faut être pris par l'oeuvre pour ne pas noter cet anachronisme qui évoque le Moyen âge. Ce travail ne conduira pas Jérémie vers la prêtrise, mais vers l'écriture. Son expérience en fera un écrivain public, un métier assez répondu pour satisfaire les besoins des nombreux analphets d'un Québec qui ne comptait qu'un faible réseau d'écoles.
On lit la suite de ce roman dans La Désertion. Cette première oeuvre sur l'Abitibi est intéressante et bien écrite. Elle souligne avec justesse une période du Québec que je n'aimerais pas revivre.
Beau mais lourd, lourd, lourd... 4 étoiles

4e de couverture : De quoi se compose l'Abitibi des commencements aux yeux du jeune Jérémie Hanse, fils d'un trapéziste mort lors d'une tournée du Grand Cirque d'Hiver ? C'est une terre fabuleuse, apte à « développer sa propre mélodie », nous dit Pierre Yergeau. L'Abitibi est vaste, sa forêt est de ces lieux qui agissent profondément sur l'imaginaire ; sur ses rivières se déploie la chorégraphie suicidaire des draveurs et on peut entendre le chant étrange émanant des eaux gelées. La vie est pleine d'énigmes et Jérémie entreprend de les traverser avec ces personnages de fortune occupés à faire Amos, Val-d'Or, Senneterre et à laisser d'autres traces dans le terreau du mythe.

Mon avis : L'écrivain public donne l'impression, pendant de longues périodes, de fleureter avec le rêve, l'irréel. Un peu comme si Jérémie n'existait pas vraiment dans le monde physique. Comme si l'auteur du roman à forte saveur onirique souhaitait davantage nous faire vivre quelque chose, un état semi conscient où l'on pourrait entrer en contact étroit avec le personnage principal et cette terre d'Abitibi quasi mythique à ses yeux. L'écriture du roman est d'ailleurs sublime, mais alourdie de multiples saveurs, odeurs et images qu'on ne veut pas perdre, ce qui ralentit considérablement le rythme de lecture. C'est un livre qui doit se lire lentement si on souhaite absorber toutes ces images incrustées ici et là.

Cette lourdeur m'a d'ailleurs agacé dans plusieurs passages où j'avais l'impression de me perdre d'ennuis face à ce tableau impressionniste superbement profond, mais à un point où on finit par étouffer.

(Ma note ne couvre que l'appréciation générale de ma lecture)

Calepin - Québec - 43 ans - 27 juillet 2009