Quartier lointain - Intégrale
de Jirō Taniguchi

critiqué par Blue Boy, le 31 janvier 2013
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Le Japon n’est pas si loin finalement…
Hiroshi Nakahara, 48 ans, marié, deux enfants, vit et travaille à Tokyo. Accablé par une paternité trop lourde à porter pour lui, il cherche à noyer son ennui dans le boulot et l’alcool. Un jour, après avoir pris le mauvais train, il se retrouve dans la ville où il a grandi et où sa mère a été enterrée il y a plus de vingt ans.. Après être allé se recueillir sur sa tombe, son passé va ressurgir de façon pour le moins inattendue : Soudainement projeté dans le Japon des années 60, c’est dans son corps de garçon de 14 ans que va commencer pour lui une quête étrange : comprendre pourquoi avait disparu si brutalement ce père qu’il ne revit jamais…

Je ne lis que très rarement des mangas, mais celui-ci m’a été offert par un ami et apparemment demeure un des must en la matière. Il est vrai que l’ouvrage sort vraiment de l’idée que je me fais généralement du manga, qui je le reconnais n’est pas exempte de préjugés.

S’il y a bien quelque chose que j’ai apprécié dans cette BD, c’est l’atmosphère qui s’en dégage. J’ai vraiment été transporté dans ce Japon des années 60, dans cette ville de province où semble régner une certaine douceur de vivre. Cette douceur est bien rendue par le trait raffiné et minutieux de Jiro Taniguchi. Paysages, ciels, bâtiments sont parfaitement représentés, par contre, j’ai un peu plus de mal avec les personnages que je trouve assez fades et inexpressifs. Et là encore, c’est l’une des choses qui me gêne – voire qui m’agace- le plus dans le style manga, comme si les Japonais avaient tous appris à dessiner dans la même école et semblaient se copier les uns les autres… Certes, on pourrait dire la même chose d’un certain style franco-belge… Heureusement, cela n’est nullement rédhibitoire et ne m’empêche pas d’apprécier énormément Hayao Miyazaki, autre auteur nippon de splendides dessins animés débordant de poésie. Après tout, cette uniformité est-elle destinée à permettre au lecteur de mieux s’identifier aux personnages…

Quant au récit, il bénéficie d’un scénario bien construit et original. Une histoire simple où s’invite discrètement le fantastique. Une histoire que chacun a forcément un jour ou l’autre imaginé : revivre son enfance. Peut-être pour pouvoir changer le cours d’une vie dont on n’a pas forcément rêvée et dont les déboires résultent toujours en partie des blessures plus ou moins conscientes subies à l’âge où l’on est insouciant… Ici, le quadragénaire Hiroshi, dans son corps de 14 ans, va espionner son père Yoshio pour tenter de comprendre ce qui l’a conduit à quitter le foyer familial et surtout l’en dissuader. Sa mésaventure finira par l’éclairer sur sa situation maritale qui lui pèse sans qu’il sache vraiment pourquoi. Avec en filigrane cette question : si l’on peut agir sur certaines choses (dans le présent ou le passé), peut-on réellement changer le destin ?… Il s’agit donc bien, on l’aura compris, d’un roman graphique « travaillé », avec des personnages réalistes et dotés d’une certaine profondeur – rien à voir donc avec les mangas pondus au kilomètre au Pays du Soleil levant. Le ton est grave, l’émotion est toute en retenue mais bien présente (la rencontre de Hiroshi avec l’amie d’enfance de son père), ce qui n’empêche pas l’humour dans certaines scènes assez cocasses – dues notamment au problème d’alcool de Hiroshi.

Je recommande donc vivement la lecture de ce « Quartier lointain » tellement proche de nous, d’une portée universelle, humain, tellement humain, sans jugement, tragique aussi, empreint d’une émotion subtile et sans pathos, mais qui, une fois le livre refermé, infuse délicatement votre âme… Comme un doux tintinnabulement aux sonorités mélancoliques qui vient vous hanter et finit par vous mettre le cœur au bord des larmes…