Adieu, vive clarté...
de Jorge Semprún

critiqué par Jules, le 15 janvier 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Un excellent livre !
Jorge Semprun nous raconte sa famille, son père, sa mère, la maison de vacances en Espagne, la Hollande où son père avait été envoyé par la République.
Ce qu’il a connu de la guerre d’Espagne, c'est-à-dire ce que les grands en disaient. Il avait quinze ans quand Franco la gagna. Ils étaient devenus des exilés et s’étaient installés en France. Viennent alors les souvenirs du lycée Henri IV, où il va avec son frère. L’ambiance de Paris, de la vie de jeune homme dans cette grande ville dont son père lui avait si souvent parlé. Les autres réfugiés, les Espagnols qui défilent dans les rues de Paris, battus mais fiers ! De ce moment lui vient son penchant pour la gauche, qui le fera adhérer plus tard au parti communiste. Il ne fera d’ailleurs pas qu’adhérer, il sera actif et fera plusieurs voyages clandestins en Espagne, au risque d'être pris et torturé dans une prison espagnole. Puis une nouvelle guerre s’approche et il intitule avec une extrême justesse la dernière partie du livre " Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres… " Le titre de son livre est aussi des plus éloquents : " Adieu, vive clarté. ". C'est la clarté de la jeunesse, de l’époque de la vie où l’on croit que l'on arrivera à surmonter toutes les épreuves.
Avant la tourmente 8 étoiles

Comme l'écrit Semprun lui-même, "ce livre est le récit de la découverte de l'adolescence et de l'exil, des mystères de Paris, du monde, de la féminité. Aussi, surtout sans doute, de l'appropriation de la langue française."
Ecrit après "l'écriture ou la mort", ce livre nous transporte dans une époque antérieure à celle qui vit Semprun éprouver dans sa chair et son âme l'horreur concentrationnaire. L'essentiel du récit se situe lorsque le jeune Semprun, récemment inscrit au lycée Henri IV, découvre Paris et sa vie intellectuelle foisonnante. Lui, le jeune exilé gauche (il n' a guère que quinze ans à l'époque mais témoigne déjà d'une maturité exceptionnelle) se trouve soudainement placé dans la position non seulement de l'étranger mais du vaincu (Madrid vient de tomber aux mains des franquistes). Son français est encore hésitant mais il va s'approprier cette langue en quelques mois, perdant jusqu'à son accent ."Pour préserver mon identité d'étranger, écrit-il, pour faire de celle-ci une vertu intérieure, secrète, fondatrice et confondante, je vais me fondre dans l'anonymat d'une prononciation correcte". Cela sans cesser d'être "rouge espagnol, à tout jamais".
Ces années fondatrices, précédant immédiatement le déclenchement de la seconde guerrre mondiale, seront aussi pour l'auteur celles de la découverte de la philosophie, de l'amitié, du corps des femmes.
Tout cela nous est conté de manière non linéaire, une anecdote en entraînant une autre qui elle-même etc. Ce dillettantisme de la narration allié à une grande rigueur intellectuelle concourt pour beaucoup au charme de cet ouvrage qui, s'il n'a pas la force tragique de 'l'écriture ou la vie" n'en demeure pas moins hautement recommandable.

Guermantes - Bruxelles - 76 ans - 14 mai 2007