L'écriture ou la vie
de Jorge Semprún

critiqué par Jules, le 15 janvier 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
A lire absolument
Jorge Semprun a été interné à Buchenwald, comme résistant. Il en a été libéré par les troupes du général Patton.
Il nous raconte ici ce qu'à été pour lui ce retour des camps et l'impossibilité dans laquelle il s’est trouvé d'en parler, et ce pendant des années. Impossible pour lui de répondre aux questions, refus d'en parler tant cela faisait mal. De toute façon, était-il possible de faire comprendre aux gens ce qu'était la vie au camp ? Et puis, dans cette France avide de jouir de sa liberté fraîchement retrouvée, les gens avaient-ils vraiment envie de savoir ?.
Il lui aura fallu presque cinquante ans pour arriver à parler !. Ce livre raconte son histoire et je ne me permettrais pas d’en dire quoi que ce soit. C’est à lui seul qu’il revient de parler. Simplement je voudrais attirer votre attention sur le fait que ce livre n’est pas qu'un document, c’est aussi un livre écrit par un grand écrivain.
Autre chose encore : un jour Jorge Semprun dialoguait avec Primo Levi, autre grand rescapé des camps qui a écrit " Si c'est un homme ", également sur son expérience vécue. Semprun attirait l’attention sur une énorme différence qu'il y avait entre eux deux : lui, Semprun, savait pourquoi il était dans un camp : il était communiste et avait fait de la résistance. Primo Levi, lui, ne savait pas pourquoi il y était, sauf par le fait qu'il était juif ! Mais être juif n’est pas un crime, cela n'aurait jamais dû être une raison suffisante !. Selon Semprun, il lui semblait plus facile de supporter son état, il connaissait son risque et avait accepté de le courir, que cela avait dû l'être pour les juifs qui, eux, n'avaient rien fait qui justifie qu'ils soient là. ætre né avait été leur seul crime !…
mort, j'écris ton nom 10 étoiles

Il a fallu à l’auteur plus de quarante années avant de pouvoir écrire ce livre. Impossible, au sortir du camp de concentration de Buchenwald, de décrire la souffrance endurée, le deuil des amis n’ayant pas résisté à la faim, aux coups, à la maladie. Impossible de faire comprendre au monde comment la solidarité entre ces détenus, pour la plupart porteurs d’un idéal et précisément enfermés pour cela, a permis de se ménager des petits instants de bonheur : partager un mégot, monter un orchestre improvisé, jusqu’à des actes beaucoup plus risqués comme détourner des armes pour le jour, incertain, où l’on pourra se libérer. Ce jour tant attendu est enfin arrivé en avril 1945, c’est le début du roman, lorsque l’auteur se rend compte qu’il fait physiquement peur aux trois officiers en uniforme britannique se présentant à l’entrée du camp, trois soldats pourtant habitués aux scènes d’horreur vues sur les champs de bataille. Raconter l’indicible, l’auteur l’a tenté, puis y a rapidement renoncé, ne trouvant ni les mots ni le ton juste à adopter. Il préférera l’action, la vie, cette vie de militant apatride qui va l’amener à défendre des causes qu’il reniera par la suite, longtemps après, lorsque l’envers du décor, sordide, lui apparaîtra. Comme dans toute son œuvre, Jorge Semprun ne raconte pas une histoire, mais plutôt son travail d’écriture autour de quelques faits saillants restés gravés dans sa mémoire ou resurgissant soudainement au détour d’une lecture, d’une rencontre. Une œuvre en creux, faisant penser à un sculpteur qui n’aurait conservé que les moules de ses créations. Un roman passionnant, qu’il faut lire en prenant son temps, en suivant patiemment l’auteur là où il veut nous mener, ou nous égarer…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 75 ans - 28 mai 2022


De la difficulté de survivre à l'écriture 8 étoiles

Un livre sur la difficulté d'écrire pour raconter l'indicible. Ou plutôt sur la difficulté de survivre à ce travail d'écriture.
Alors que je m'attendais à un livre sombre et déprimant, j'ai été surprise par ce livre qui constitue d'une certaine manière un ode à la vie. Certes, le sujet et l'expérience racontée par Semprun sont d'une gravité et d'une horreur extrêmes. Et pourtant, l'auteur partage avec le lecteur ses pensées et réussit à nous insuffler sa volonté de vivre, qu'il a préservée aux dépens de l'écriture pendant de nombreuses années.
De plus, j'ai beaucoup apprécié le style. En effet, Semprun raconte ses souvenirs en ouvrant successivement des tiroirs au fil de sa pensée, avant de les fermer pour revenir au premier, et cela peut dérouter. Pour ma part, j'ai admiré l'agilité de l'auteur qui réussit à ne pas perdre son lecteur dans cet exercice. En effet, les références et citations à des poètes et philosophes sont nombreuses mais ne nécessitent pas forcément de les connaître et les comprendre. En effet, les citations de poèmes ne sont pas toujours traduites, mais par chance je connais quelques bribes d'espagnol et d'allemand qui m'ont permis de cerner ces citations.
Une excellente lecture pour ma part!

MeliMelo - - 36 ans - 20 octobre 2014


Et les autres qui ont vécu sans écrire... 10 étoiles

Il me semble que, dans un premier mouvement, Jorge Semprun avait voulu titrer son récit: "L'écriture ou la mort", ayant peut-être à l'esprit le suicide de Primo Levi, frère en esprit si souvent cité dans le livre.
Oeuvre littéraire, sans nul doute, puisqu'écrit 50 années après les faits, en ce sens elle peut irriter, comme en témoigne la critique de Blue Boy sur ce site. A la différence de "Si c'est un homme" de Levi, écrit en 1947 dans la douleur du retour,
Jorge Semprun a expérimenté cette impossibilité d'écrire cette douleur, comportement commun, pour diverses raisons, à de très nombreus rescapés des camps nazis. Il tente de s'en expliquer, d'expliquer à lui-même cette impossibilité, à un moment précis, de traduire en mots l'indicible. Ecoutons-le (p.304): "...l'écriture, si elle prétend être davantage qu'un jeu, ou un enjeu, n'est qu'un long, interminable travail d'ascèse, une façon de se déprendre de soi en prenant sur soi: en devenant soi-même parce qu'on aura reconnu, mis au monde l'autre qu'on est toujours." Admirable formule.
D'une autre manière que Primo Levi, qui reconnaissait avoir trouvé, paradoxalement, à Monowitz une Université, Semprun restitue l'expérience du camp et, plus, celle, abondamment documentée, de la difficulté du retour à la vie courante. En ce sens son témoignage est bouleversant, parlant en son nom et au nom de tous ceux qui ont vécu le même destin sans pouvoir ou vouloir l'écrire.
Comme le disait Jules dans sa critique initiale: A lire absolument.

Falgo - Lentilly - 84 ans - 11 février 2012


Faut-il vraiment écrire sur la difficulté de décrire l’indicible ? 5 étoiles

Ce livre de la part d’un rescapé du camp de Buchenwald témoigne parfaitement de la difficulté à écrire sur le sujet. Semprun a en effet dû attendre vingt ans avant de pouvoir le faire et on peut le comprendre. A l’inverse de Primo Levi qui lui avait pu se libérer du traumatisme d'une telle expérience grâce à l’écriture mais qui fut rattrapé par le souvenir plusieurs années après en mettant vraisemblablement fin à ses jours.

Nul doute qu’il s’agit là d’un témoignage des plus sincères d’un personnage engagé et tout à fait respectable, mais je dois dire que la lecture de ce livre m’a paru longuette, même si certains passages sont dignes d’intérêt. Dans cette évocation de ses années passées - son expérience des camps resterait presque anecdotique même si on sent leur omniprésence, sans doute par pudeur - l’auteur effectue des va-et-vient permanents, avec une obsession quasi-maniaque du détail, se livrant à des digressions incessantes qui finissent par dérouter le lecteur lambda que je suis. Semprun fait également preuve d’une érudition sans pareille en matière de littérature en citant de nombreux auteurs et ouvrages plus ou moins connus, mais il faut parfois ramer pour comprendre ce à quoi il fait référence, et j’ai regretté que les citations de poèmes dans d’autres langues n’aient pour la plupart pas été traduites.

On l’aura compris, ce n’est pas une écriture simple et fluide – peut-être à cause de cette difficulté dont je parlais - mais je reste déçu de ne pas avoir été davantage touché par les écrits de ce monsieur qui cela étant conserve toute mon estime.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 10 septembre 2011


Arriver à parler de sa déportation 10 étoiles

Plus que de sa déportation elle-même, qu'il décrit dans le Grand voyage, il évoque ici ses difficultés d'évoquer cette page de l'histoire générale et de son expérience personnelle. Il retrace le cheminement qui l'y amène, après avoir décrit sa libération.
Ce témoignage est fort, lucide, distant et objectif : il valait la peine de prendre le temps, de maturer ce passé pour présenter l'indicible.
Malgré l'aspect évidemment très dur du sujet, ce cheminement l'amène à une assez grande pudeur dans la narration et les descriptions, tout en restant précis sur les faits, comme sur ses propres états d'âmes.
Il est juste dommage que les citations allemandes ne soient pas systématiquement traduite, pour l'intelligibilité immédiate de certains passages.

C'est évidemment un très grand livre qui retrace la genèse de l'écrit retraçant une expérience relevant de l'épouvante collective.

Veneziano - Paris - 46 ans - 30 janvier 2009


Un grand livre 9 étoiles

Je ne puis que me joindre au choeur unanime des laudateurs de ce livre qui m'a ébloui tant par ses qualités proprement littéraires que par la profondeur douloureuse de l'expérience qu'il raconte.
Expérience quasiment indicible puisqu'il aura fallu plus de quinze ans pour que Semprun puisse renouer avec l'écriture après avoir constaté, peu après sa libération de Buchenwald, "qu"écrire, d'une certaine façon, c'était refuser de vivre". Aussi avait-il"décidé de choisir le silence bruissant de la vie contre le langage meurtrier de l'écriture".
Ces années de silence n'allaient certes pas être vides: on connaît le rôle important joué par l'auteur dans la résistance anti-franquiste au cours de ces années-là. Ces nouveaux combats, l'engagement dans la vie quotidienne, les amours qu'il vécut intensément allaient peu à peu le reconstituer et lui permettre de se repencher sur ses années de camp sans risque de sombrer à nouveau dans un enlisement mortifère.
Le récit qui verra finalement le jour trente ans après et que nous lisons ici ne se présente pas comme un exposé linéaire des événements vécus par Semprun. Celui-ci, au gré des rencontres ou des souvenirs qui se bousculent dans sa mémoire, nous promène dans des zones de son passé chronologiquement bien distinctes, certaines bien antérieures à son expérience du camp, d'autres postérieures à celle-ci, au gré de ses rencontres,des associations d'idées, d'images qui naissent en lui. Le livre s'enrichit ainsi d'une galerie de portraits bien brossés, de considérations passionnantes sur la poésie, la philosophie etc.
Arrivé au terme de la lecture, on a acquis l'impression tenace que Semprun a réussi à renaître du plus cruel des enfers en y puisant la force de faire partager à son lecteur un goût renouvelé pour toutes les richesses de la vie.

Guermantes - Bruxelles - 76 ans - 13 mars 2007


Poignant, marquant 8 étoiles

Je ne connaissais pas Semprun avant de le rencontrer à la foire du livre de Bruxelles. L'homme m'a marqué par son récit, sa lucidité et sa vision des choses. C'est lui qui m'a donné envie de lire "L'écriture ou la vie". L'un des plus beaux témoignages sur les camps. Si vous êtes à la recherche de détails morbides, passez votre chemin. La réflexion profonde qu'on retrouve dans ces pages vaut tous les récits du monde.

Gribouilleur - Louvain-la-Neuve - 48 ans - 1 août 2001


Ecrire pour survivre 10 étoiles

"L'écriture ou la vie" est un chef-d'oeuvre, un témoignage incontournable, une référence sur la vie dans les camps de concentration. C'est aussi un grand bonheur, si on peut parler de bonheur vu la gravité du thème du livre, pour tous ceux qui aiment manier la plume.

L'Auteur - Ciney - 81 ans - 8 avril 2001