Fées, sorcières et loups-garous au Moyen Age
de Claude Lecouteux

critiqué par Fanou03, le 28 mars 2020
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Les Doubles vagabonds
Son titre ne le laisse aucunement présager : l’ouvrage de Claude Couteleux aborde avant tout l’histoire des « Doubles » au Moyen-Âge, dans l’aire européenne (surtout Scandinavie, Allemagne, France). Fées, sorcières et loups-garou ne seraient en fait qu’une incarnation des Doubles des individus ayant le pouvoir, à l’instar des chamans lapons ou sames, de projeter hors de leur corps leur « âme », ou quelque autre nom qu’on puisse donner à ce principe spirituel plus ou moins attaché à l’enveloppe charnelle.

La discussion autour de la nature de ce principe spirituel constitue d’ailleurs une bonne partie de cet essai. Différentes traditions y sont évoquées. L’auteur tire du corpus qu’il a étudié (essentiellement les sagas norroises d’une part, les témoignages de chroniqueurs chrétiens et les minutes des procès en sorcellerie d’autre part), deux types principaux d’ « âmes » au sens païen du terme. Tout d’abord la « Fylgia », correspondant au double spirituel de individu, à son génie tutélaire. Ce double psychique serait notamment capable d’après les textes d’aller habiter les rêves d’autrui. LA figure de la fée en serait une réminiscence. Ensuite il y aurait le « Hmar », c’est à dire le double physique de l’individu qui aurait la propriété de pouvoir s’affranchir du corps et de s’incarner en une forme zoomorphe ou autre (sorcière ou loups-garou).

Ce dédoublement peut être soit contrôlé par des individus qui en ont le talent ou le pouvoir (parfois héréditaire), soit à son insu, dans des cas de maladies graves, de comas, ou tout simplement au cours du sommeil, tous ces moments où le corps relâche son emprise. Ce sont ces doubles vagabonds qui seraient à l’origine les phénomènes tels que songes prémonitoires, des impressions de déjà vu ou de déjà vécu.

Le concept chrétien d’âme est, pour Claude Couteleux, un ajustement que les théologiens et l’Église auraient fabriqué à partir de ces vieilles traditions païennes, avec une différence de taille : pour les chrétiens, l’âme est une est indivisible du corps. Paradoxalement la tradition chrétienne n’exclut pourtant pas les récits de visions de Saint ou d’extatiques. Elle évoque parfois, comme Grégoire le Grand dans des Dialogues, l’âme comme étant composée de trois types d’esprits vitaux qu’on pourrait rapprocher des différents types qu’on trouve dans le paganisme... Quoi qu’il en soit, l’Église combat les phénomènes de dédoublements « laïques » sous toutes leurs formes, celle des sorcières en particulier, les rattachant à des actions maléfiques, alors que dans la tradition païenne ces phénomènes ne sont absolument pas manichéens.

Claude Lecouteux mène ici une enquête aux frontières de l’ethnographie, de l’histoire, de la littérature et de l’anthropologie. La préface de Régis Boyer, éminente figure universitaire des civilisations scandinaves anciennes, permet de rassurer définitivement sur le sérieux de l’entreprise. Heureusement car Fées, sorcières et loups-garou... tend parfois à ressembler à un traité sur le paranormal ! Il faut dire que même si l’auteur s’interdit de juger la véracité des témoignages qu’il analyse sous un angle uniquement scientifique, il me semble qu’il affecte, à défaut d’y croire réellement, une sympathie certaine pour le concept païen de l’âme et du double, qu’il juge à demi-mots plus riche et plus juste que celui proposé par le christianisme.

L’analyse des textes cités dans le livre est parfois difficile à suivre, ainsi que les différents concepts de l’âme qui y sont exposée, mais l’enquête est passionnante. Elle nous offre une autre interprétation de ces figures littéraires que sont les fées, les sorcières et les loups-garous, et nous oblige à repenser notre rapport au corps, et à la mort.