« Les Anges Noirs » est un roman de Mauriac un peu à part parce qu’il contient une intrigue policière avec un meurtre et un coupable. Mais ce n’en est que mieux, cette intrigue rend le roman encore plus passionnant.
Dans ce roman le coupable a été reconnu par les siens et dès lors, ceux-ci deviennent les complices de son crime. On est en plein Mauriac avec des drames de conscience inextricables. Oui, inextricables ! parce que les personnages de Mauriac sont chrétiens, enfin disons qu’ils sont croyants ; ils croient au mal et au jugement dernier, ce qui les met à la torture. (Entre parenthèses, le lecteur se dit que la vie est tellement plus facile quand on ne croit en rien…).
Et, bien sûr, Mauriac se demande si, en conscience, le coupable est vraiment coupable et ses phrases, alors, deviennent lourdes comme le poids des remords. Certes oui, devant la justice des hommes, son héros est un criminel mais, devant la justice de Dieu ? Cet homme pervers et corrompu était-il vraiment libre ? N’était-il pas, poussé par un destin écrit d’avance ? Dans le récit, un des personnages, qui pourrait être Mauriac, se demande « s’il n’y a pas des âmes qui lui sont données » – qui sont données au Diable. Mais Mauriac n’impose rien, c’est au lecteur de juger.
« Les Anges Noirs » commence par une espèce de longue confession du personnage principal, qu’un lecteur pressé pourrait trouver trop longue. Mais elle est indispensable, cette introduction, pour bien comprendre le développement du drame. Le roman proprement dit commence quand s’accomplit la destinée du héros. C’est d’abord le retour de l’ange noir au pays de l’enfance ; et le rythme des phrases vibre alors au pas du marcheur qui se souvient. Ces pages sont un morceau d’anthologie ! Un véritable envoûtement !
Quand le prodigue a retrouvé les siens, les vieux secrets se réveillent avec les perspectives d’héritage, les anciennes querelles, et l’amertume des occasions perdues...
L’histoire se passe dans les grands domaines du Bordelais que l’auteur connaît bien. Et, en même temps qu’il raconte l’accomplissement du drame, il évoque son pays avec une tendre poésie où on sent toute sa compassion pour cette nature qui souffre des chaleurs de l’été, et ces humbles paysans qui peinent dans les vignes, et dans les pins des forêts des Landes.
Ici, le style de Mauriac a atteint les sommets. Il est très loin d’être « enflé » comme certains l’ont prétendu. Il est simplement harmonieux, vibrant et toujours rythmé en accord avec le message.
On a souvent dit que Mauriac n’avait engendré que des monstres ; et, quand nous étions jeunes, les braves gens qui nous voulaient du bien, nous recommandaient de l’éviter !
Quelle erreur ! Ses héros sont souvent des pervers mais Mauriac essaye de les comprendre et n’a jamais pour leurs forfaits la moindre complaisance. Et puis, chez ces victimes du mal, chez ces anges noirs, il y a toujours une part de mystère qui laisse la promesse d’une rédemption possible parce que Mauriac croit en la Providence.
« Les Anges Noirs » est un des meilleurs romans de Mauriac. On y retrouve tous les ingrédients qui ont fait sa renommée : la nature, la famille, l’argent, la terre, la souffrance humaine avec des destinées qui sont racontées depuis le début d’une vie jusqu’à sa fin. C’est un grand classique avec, comme toujours, des personnages d’une consistance exceptionnelle qui sont de vrais prototypes d’humanité. Et, comme toujours, le style est somptueux comme une vaste symphonie dramatique. C’est encore une fois, à mon avis, un des sommets de la littérature française.
Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 89 ans - 14 février 2019 |