Une sorte de vie
de Graham Greene

critiqué par Tistou, le 24 octobre 2012
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Autobiographie de la jeunesse de Graham Greene
«Une autobiographie n’est qu’une « sorte de vie » - il se peut qu’elle contienne moins de faits erronés qu’une biographie, mais elle est nécessairement encore plus sélective : l’autobiographie commence plus tard et se termine prématurément. Du moment que l’on ne peut mettre le point final à un livre de mémoires sur son lit de mort, toute conclusion est forcément arbitraire ; pour ma part, j’ai préféré clore cet essai sur les années d’échec qui ont suivi l’acceptation de mon premier roman …/…
Et quelle raison de rassembler sur le papier ces bribes du passé ? C’est, à peu de choses près, la même qui a fait de moi un romancier : le désir de réduire un chaos d’expériences à une sorte quelconque d’ordre, et une curiosité affamée. »

Il s’agit réellement d’une autobiographie, de la prime jeunesse jusque vers les 27 ans de Graham Greene. Mais, davantage qu’une autobiographie purement factuelle, Graham Greene certainement marqué par l’analyse qu’il pratiquât quotidiennement pendant six mois à l’âge de 17 ans, procède d’une manière similaire : ses souvenirs remplaçant les rêves et étant mis à nu pour qu’il comprenne lui-même, ou nous fasse comprendre, comment il est devenu l’homme qu’il fût, l’écrivain qu’il fût. C’est d’une très sérieuse introspection dont il s’agit. Graham Greene va loin dans les détails, même ceux qui ne seraient pas en sa faveur. A cet égard, autant qu’une autobiographie, c’est le processus de naissance d’un écrivain.
Enormément de données dans ces 218 pages. Certaines ressortent évidemment davantage que d’autres. Une toute première jeunesse plutôt heureuse, avec un père directeur d’une « Public School ». Très vite le goût de la lecture. Première cassure dans sa vie lorsqu’à quatorze ans il devient pensionnaire, bizarrement dans le collège de sa ville. Il le vit réellement très mal, se sentant à l’écart des autres élèves et hors du paradis perdu, le cocon familial, pourtant si proche.
Un premier élément déterminant alors : le seul ami qu’il a et en qui il a confiance le « trahit ». Oh, pas une bien grosse trahison : il prend le parti du reste des élèves contre lui alors qu’il était son seul soutien, mais ceci restera manifestement gravé dans le « matériau Graham Greene », d’où ces multiples références aux trahisons dans nombre de trames de ses romans.
Autre évènement marquant dans l’élaboration de sa personnalité : sa psychanalyse de six mois entre 16 et 17 ans. Six mois de tranquillité hors de l’internat abhorré, en résidence chez son analyste à Londres, qui lui forgera cette habitude de l’analyse, de l’introspection ainsi que l’habitude d’écrire.
La fin de cette analyse et la perspective du retour à l’ordinaire le conduira, apparemment à plusieurs reprises, à pratiquer la roulette russe avec le revolver de son frère sur lequel il a mis la main !
Un autre tournant encore, très jeune, 19 – 20 ans, un premier contact avec le monde trouble du renseignement puisqu’en 1924, en partie pour le goût de l’action et voyant là un bon moyen de se faire payer des voyages en Allemagne, il propose en quelque sorte ses services à l’Allemagne !
Un dernier évènement notable – et non le moindre – celui de sa conversion à la foi catholique. Il n’en fait réellement pas un fromage et présente la chose davantage comme un moyen de comprendre la religion de la femme qu’il va épouser. C’est en 1926, il n’a alors que 22 ans. Voici ce qu’il en dit incidemment dans ce qui serait la dernière partie de son autobiographie (« Les chemins de l’évasion ») parlant de sa « conversion au goût de la vie », après être passé tout près de la mort au Libéria :

«J’avais fait au cours de la nuit une découverte qui m’intéressait. J’avais découvert en moi un amour passionné pour la vie. J’avais toujours pensé, comme une chose très simple et qui allait de soi, que la mort était désirable.
Cela m’apparut donc à l’époque comme une importante découverte ; c’était la première conversion dont je faisais l’expérience. (Je n’avais pas été converti à une foi religieuse. J’avais été persuadé, à l’aide d’arguments précis, de la probabilité de ses symboles.) Si l’expérience n’avait pas eu pour moi cette nouveauté, elle m’aurait paru moins importante. J’aurais su que les conversions ne durent pas, ou que si elles durent, elles ne sont plus à la fin qu’un petit dépôt, tout au fond de l’esprit. »

Sa conversion serait surtout le fruit de ses discussions avec le Père Trollope qui le convainc essentiellement de l’existence de Dieu, d’un Dieu. De là à adopter la foi catholique pour être cohérent avec Vivien, sa future femme …
De ses œuvres, il parlera de son premier succès, « L’homme et lui-même », qu’il qualifie de faux départ puisque les œuvres suivantes connaîtront l’insuccès et l’amèneront, outre « à bouffer de la vache enragée », à revoir sa conception de l’écriture. Il explique très bien la genèse de tous ces errements et pour qui aime Graham Greene c’est un véritable plaisir !
Parcours d'un écrivain 8 étoiles

Une sorte de vie est maintenant ré-édité chez Laffont dans une édition qui contient en outre un deuxième essai autobiographie, "Les chemins de l'évasion", présenté également par Tistou sur le site. Donc si comme moi vous vous désespérâtes de ne pas trouver "Une sorte de vie" (épuisé), vous pouvez acheter ou emprunter sans hésiter cette édition qui contient les deux essais.

Graham Greene arrête cet essai sur les années d'échec qui ont suivies son premier succès, années pendant lesquelles il publiera deux romans mauvais et invendables, et qui se termineront avec la publication de l'Orient-Express qui fut tiré à très peu d'exemplaires mais qui est un chef-d'oeuvre et fut ensuite reconnu. Il y a chez Graham Greene une certaine sympathie pour l'échec, et c'est quelque chose qu'on retrouvera dans beaucoup de ses personnages de fiction. Et c'est ce qui les rend attachants bien sûr. Il revient aussi souvent sur ses antécédents familiaux, avec ses deux grand-pères, dont l'un devint pasteur défroqué et l'autre abandonna sa famille pour aller mourir aux antipodes, des personnages emblématiques de la famille Greene .

Pas de grandes révélations dans ce roman au ton humoristique et sympathique. On apprend par exemple que le jeune Graham Greene détestait le collège et que cela lui valut une dépression. Il suivit une cure chez un psychiatre, mais ce qui le soigna réellement n'est pas les séances mais le fait d'échapper au pensionnat. On apprend aussi qu'il souffrait d'une maladie particulière, liée au fait de ne pas supporter l'ennui, et lorsqu'il avait une crise il lui fallait rien que moins que jouer à la roulette russe avec un pistolet chargé pour retrouver la charge d'adrénaline manquante. Il aborde légèrement le fait de sa conversion à la religion catholique découverte grâce à sa femme et un prêtre avec lequel il avait des discussions.

Et ensuite il y a toute la galerie des oncles et des tantes (célibataires), des frères et des soeurs, les parents, auquel il rend un hommage et qu'il rend vivants comme par magie grâce à sa plume si particulière. Graham Greene se base sur les lettres qu'il écrivait à sa mère ou à ses frères et sœurs, il cite souvent des extraits savoureux plein d'humour de cette correspondance. Ainsi, à propos de son premier roman publié, son oncle de la branche riche lui écrivit "Il fallait un Greene pour écrire cela", ce qui laissa le jeune auteur perplexe.

Graham Greene est probablement l'auteur qui m'a procuré le plus d'heures de plaisir dans la lecture, et je suis bien content d'avoir découvert cet essai autobiographique.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 4 mai 2013