L'amitié : De Platon à Debray
de Cyrille Bégorre-Bret

critiqué par Shelton, le 18 octobre 2012
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Un ouvrage qui fait du bien...
Les ouvrages de philosophie se multiplient et se répandent à l’infini sur les étals des libraires… Pourtant, les lecteurs sont de moins en moins nombreux et il semble que la philosophie soit le cadet des soucis d’une grande partie de nos contemporains… Ces livres ne seraient-ils là que pour aider à préparer le baccalauréat ? Ne s’agirait-il que de se donner bonne conscience au moment où nos civilisations de la consommation à outrance sombrent dans la déshumanisation ? Les questions sont nombreuses et il n’est pas possible de répondre à ces interrogations légitimes. Mais comme je ne veux pas céder au pessimisme, je voudrais vous inviter à découvrir un livre de philosophie qui ouvre des portes d’espérance pour nos vies quotidiennes…

Il porte, cet ouvrage, un grand nom, un nom qui donne la nostalgie du temps passé car voilà bien longtemps que l’on n’ose plus parler de l’amitié, si ce n’est pour souligner les coups de poignard qu’elle est en train de subir… Une amitié de quarante ans brisée lors d’une élection, l’amitié d’une vie qui disparaît lors d’un conseil d’administration, un homme meurt abandonné dans la solitude extrême sans amis à ses côtés… Oui, on ne parlerait d’amitié que lorsqu’elle a disparu et jamais au moment de sa pleine vigueur ! Là, on ne citerait que les bandes, les groupes, les mafias, les associations, les intérêts partagés, le sexe ou que sais-je encore… Et, pourtant, il semble bien que cette amitié mérite un peu plus que cela…

L’auteur, Cyrille Bégorre-Bret, docteur en philosophie, est allé chercher chez nos anciens et contemporains, des réflexions fondamentales sur ce sentiment humain et son positionnement dans nos vies. On aura ainsi une présentation de l’amitié strictement intellectuelle, l’amour platonicien évoquera chez de nombreux lecteurs un concept croisé, pas toujours vécu car finalement assez abstrait et délicat. Amour et amitié étant bien des notions différentes…

On croisera aussi Aristote, celui qui le premier abordera l’amitié comme un tout qui mérite d’être étudié. C’est lui qui établira les grandes lignes de ce que certains prolongent aujourd’hui avec éthique de l’amitié, fidélité en amitié, hiérarchie des amitiés… il nous pousse à rechercher une amitié parfaite, une amitié idéale qui n’existe peut-être pas mais qui fait vivre par cette quête à mener…

On arrive alors à ces grands de l’amitié, ceux qui personnellement m’ont beaucoup apporté tout au long de ma vie, Epicure, Montaigne et Pascal. Trois regard différents mais si complémentaires que l’on ne peut que s’enrichir à les lire, les comprendre, les vivre… Personnellement, j’eusse aimé voir apparaître avec eux mon philosophe préféré, Sénèque, qui lui aussi s’est longuement entretenu de l’amitié, un sentiment extraordinaire qui donne les plus grandes satisfactions et peut engendrer les drames les plus cruels…

Enfin, on trouve dans cet ouvrage précieux un regard sur l’amitié à travers des auteurs contemporains que l’on ne pense pas souvent à associer avec ce mot amitié. Simone de Beauvoir, Michel Foucault et Régis Debray. La première croit-elle réellement que l’amitié puisse libérer les femmes, imagine-t-elle qu’elle puisse ne pas être un piège de plus pour le sexe faible, pardon, le deuxième sexe ? Par contre, j’avoue qu’elle ose mettre en avant l’amitié entre personnes de sexes différents, une réalité à laquelle je crois depuis très longtemps malgré tous ceux qui croient que seul le sexe peut unir une femme et un homme. Elle croit profondément à cette amitié et je suis tenté de la suivre…

Michel Foucault a longtemps été oublié du débat sur l’amitié car l’homosexualité était si présente dans son travail et dans sa vie que l’on pensait qu’il n’avait rien à dire sur l’amitié à proprement parler. Et pourtant, il en parle et plutôt bien…

Enfin, un dernier regard sur l’amitié avec Régis Debray et sa société de la fraternité. Une fraternité à plusieurs niveaux, une fraternité des réseaux, une sublimation de la simple amitié d’hier…

Le lecteur – et je ne parle pas seulement du lycéen qui préparerait son bac ou de l’étudiant qui se lancerait dans un cursus philosophique – trouvera chez ces différents auteurs de quoi alimenter sa vie grâce au très bon travail de synthèse et présentation de Cyrille Bégorre-Bret. Il aura envie d’aller retrouver par la suite les écrits qui lui sembleront les plus adaptés à sa vie.

Un seul regret, pour moi, l’absence dans les auteurs contemporains de Francesco Alberoni auteur d’une trilogie remarquable : L’amitié, Le choc amoureux et L’érotisme.