Lettres gelées
de Hélène Le Beau

critiqué par Libris québécis, le 3 décembre 2002
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
L'hiver des exilés
Hélène Le Beau est un auteur originaire du Lac Saint-Jean, une région nordique qu'affectionnent de nombreux touristes français, qui y viennent pour faire de la randonnée en motoneige ou en traîneau à chiens. Je ne sais pas s'il y a un lien, mais l'histoire du roman se déroule en plein hiver à Montréal.
En promenant son chien, Anna, une immigrante russe, aperçoit par hasard au pied d'une poubelle les lettres enneigées d'un Kurde qui a disparu sans laisser de traces. De retour à la maison, elle demande à son amant, un arabe, de les décrypter. C'est ainsi qu'elle apprend que ses lettres sont adressées aux siens, qui vivent surtout en Iraq.
Petit à petit, Anna devient obsédée par cette correspondance. Elle entreprend même des démarches pour retrouver Nabil, ce Kurde qu'elle n'avait pourtant pas remarqué alors qu'il habitait son immeuble. Comme ces recherches restent vaines, elle le fait revivre en lui imaginant une vie. Elle s'exerce même à écrire des lettres à sa parenté.
Lentement, Anna devient totalement dépendante de Nabil. Elle néglige même ses contrats avec les éditeurs pour lesquels elle illustre la page couverture des oeuvres qu'ils publient. Elle prépare plutôt son coeur pour être l'amante parfaite le jour de son retour.
Cette recherche d'autrui caractérise bien les exilés qui ont été dépossédés déjà d'un pays, de ceux qu'ils aiment, souvent morts à cause des guerres, d'une culture pour s'adapter à la terre d'accueil. Bref, en perdant leur identité, il s'accroche à une quelconque bouée au risque de se perdre eux-mêmes.
L'auteur a bien choisi sa saison pour illustrer son propos. L'hiver canadien ralentit notre rythme de vie quand le vent réduit la visibilité en soulevant la neige, quand le froid risque de nous congeler ou quand le verglas transforme les routes en patinoires.
Pour un exilé, c'est l'hiver qui se poursuit. Si en plus il s'aide à se couper d'autrui, que lui restera-t-il? La symbolique des lettres souligne très bien le lien qui doit nous unir.
C'est un très beau roman sur la fraternité qu'illustrent de nombreux exemples comme lorsqu'Anna se joint à d'autres promeneurs de chien dans le parc qui borde la rivière ou lorsqu'elle tente d'aider sa voisine qu'elle soupçonne d'être malheureuse.
L'auteur maîtrise l'art d'écrire, mais la quantité des lettres écrites par l'héroïne ralentit le rythme du roman. Malgré ce procédé redondant, je l'ai adoré à cause de la justesse des incidences psychologiques sur ceux qui ont fui un ciel orageux pour un ciel qu'ils espéraient plus clément.