A la suite d'un naufrage, Humphrey Van Weyden, homme de lettres distingué, est recueilli puis enrôlé de force comme mousse par Loup Larsen, un terrifiant capitaine de goélette, buveur, violent mais cultivé ayant plus ou moins bien digéré la lecture de Nietzsche et Kipling. Compte tenu de son caractère et de sa réputation, Larsen ne peut rassembler qu’un équipage composé d’hommes « qu'aucun marin digne de ce nom n'accepterait à son bord » et sur lequel il fait régner un semblant d’ordre par la force et la peur.
Au-delà du roman d’aventure (tempêtes, mutineries réprimées, chasse aux phoques), Jack London a voulu mener une réflexion philosophique sur la valeur et le sens de la vie, l'immortalité de l'âme, le bien et le mal. S’opposent Larsen (ayant réussi à la force du poignet, matérialiste, individualiste, cynique, dépourvu de sens moral) et Weyden (rentier, idéaliste, cultivé, imprégné de culture chrétienne, de solidarité, de fraternité et d'entraide du fort au faible). Malheureusement, les dialogues ne sont pas d’une profondeur extraordinaire et Weyden confronté à la brutalité du monde réel manque un peu d’arguments.
Le roman souffre aussi d’un regrettable manque de réalisme. La sauvagerie injuste et sadique de Larsen le place au-delà d’un Achab ou d’un Némo et (peut-être par naïveté) je vois mal comment un personnage pareil peut exister. Qu’il puisse à lui seul menacer la vie de chaque membre de son équipage sans se faire abattre et sans que les mutineries réussissent (il suffit d’un coup de fusil et ce ne sont pas les armes qui manquent à bord) n’est pas crédible. Dans cet enfer flottant dépourvu de morale où la vie humaine n’a aucune valeur, comment croire que la jeune Maud Brewster (recueillie plus loin dans le récit) puisse vivre des semaines en gardant sa vertu ? Et je n’évoque pas les coïncidents et coups de théâtre hollywoodien.
Si vous voulez lire un roman de Jack London sur le monde maritime, allez plutôt acheter Martin Eden. Si vous cherchez un bon roman d’aventure du XIX, lisez Moby Dick ou Vingt mille lieues sous les mers.
Romur - Viroflay - 51 ans - 20 juin 2015 |