Vintage America
de Patricia de Gorostarzu

critiqué par Numanuma, le 18 mars 2012
(Tours - 51 ans)


La note:  étoiles
Une Amérique grandiose et décrépie
Etrangement, au début, je n’ai pas compris. Pire, j’ai même ressenti un certain malaise. Il y a quelque chose dans cet album photo qui a réveillé un sentiment enfoui. Ce n’est que maintenant, alors que je viens de refermer le livre, enfin appréhendé, que je sais.
Pendant toute mon enfance mes vacances estivales se sont passées au même endroit. Une maison désormais vendue. Je n’aurai pas la chance de transmettre à mon fils mon expérience particulière de ces chauds étés au fond de la campagne franc comtoise. Il n’y a que deux chemins pour arriver sur place: par le haut ou par le bas du hameau. Nous prenions toujours par le bas. Sur la route, il y avait cette haute cheminée de briques rouges. Je l’ai toujours connue. Y est-elle toujours ? Toute mon enfance, j’ai eu envie d’aller voir les restes de cette usine. Usine de quoi d’ailleurs ? Je ne l’ai jamais fait. Peur de ne pas trouver le chemin à travers bois et champs. Peur des serpents qui, forcément, dormaient là, au soleil, sur les pierres chaudes. Peur de désobéir. Peur de la tour, surtout. Angoissante, dominante, elle me voyait passer régulièrement avec mon vélo, filant dans la descente, peinant, en troisième, en remontant.
Ce livre de Patricia de Gorostarzu est plein de ces vestiges glorieux d’une certaine Amérique, une Amérique de carte postale, de films en noir et blanc, une Amérique fantasmée. Une Amérique de rêve. Une Amérique disparue.
Pour percevoir l’esprit de cet album, allez voir le dessin animé Cars. Je sais, ça peut paraître bizarre mais c’est la même histoire : un bled paumé au fond du désert, desservi par la mythique route 66 dont l’heure est passée et qui survit tant bien que mal, juste visité par des voyageurs perdus.
Pour l’ambiance, par contre, il faut autre chose, il faut de l’angoissant. Voyez la BD Walking Dead. Les photos de Patricia de Gorostarzu ne montrent que des immeubles, des tours, des voitures, des enseignes, etc.… Pas d’être vivant. On ne peut qu’imaginer leurs fantômes. Le vide partout. Il ne manque que des zombies pour être totalement raccord avec la BD.
Quand je prends des photos, je m’arrange toujours pour ne faire apparaître personne ; j’aime les natures mortes. Et pourtant, là, en voyant cette enseignes de théâtres ou de cinémas tellement reconnaissables, ces réservoirs d’eau juchés au-dessus des toits d’immeubles ou sur un échafaudage mille fois vus dans des dizaines de films et de séries, ces voitures qui font rêver les collectionneurs, devant toutes ces vignettes d’une certaine idée familière de l’Amérique, je ressens le même malaise que devant cette tour branlante qui me toisait.
Personne, il n’y personne sur ces photos tout comme il n’y avait personne au pied de cette tour pour la rendre moins effrayante. Voila : de l’effroi, ce que je ressens en voyant ces superbes clichés merveilleusement travaillés qui n’ont sûrement pas pour but d’inspirer de la crainte et pourtant, ils sont pour moi l’illustration parfaite de la fin du monde : le vide à perte de vue avec des vestiges de la civilisation partout. Évidement, on peut limiter la casse en y voyant uniquement la disparition d’une certaine idée de l’Amérique hollywoodienne d’avant les effets spéciaux et les people mais pas seulement. C’est aussi la mort de l’idée d’une Amérique généreuse, ouverte, un possible, un ailleurs de cowboys, de chanteurs de blues et self made men, de Cadillac roses, de routes sans fin et de déserts brulants.
Une Amérique grandiose et décrépie.