L'Intranquille
de Gérard Garouste, Judith Perrignon

critiqué par Veneziano, le 9 mars 2012
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Une autobiographie angoissée et lucide
Avant de devenir l'artiste plasticien de renom international, Gérard Garouste rappelle qu'il est avant tout le fils d'un commerçant antisémite et pétainiste qui a gagné sa vie en spoliant les Juifs. Ce mauvais départ dans la vie lui a valu de fortes fâcheries, et presque une rupture de ban. Il a eu du mal à poursuivre ses études aux beaux-arts, que son père n'a pas voulu financer.
L'artiste s'est associé à une journaliste réputée, spécialisée dans le domaine de l'art, pour co-écrire cette autobiographie.
A mal vivre ces relations familiales fortes et contrariées, Gérard Garouste sombre dans la maladie psychique, au point d'être suivi régulièrement en service spécialisé.

Et pourtant, malgré cela, il est arrivé à percevoir et maîtriser les demandes du moment du marché de l'art, au point d'y devenir illustre.
Ce parcours est fort triste, écorché, angoissé, mais lucide, il secoue fort le lecteur : l'étude de ses colères est désormais distanciée, aplanie, au point de pouvoir les évoquer et les analyser. Il donne de l'espoir, fait prendre du recul sur la manière de gérer de lourdes difficultés personnelles et relationnelles. Bien que fort sombre, et abrutissant au départ, il réussit à enrichir le lecteur.
Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou. 8 étoiles

Ecrit en association avec Judith Perrignon..

Je suis peintre parce que mes mains ont fait ma force, parce que des toiles puissantes et belles m'ont convaincu qu'il y avait là une voie pour moi. Mais je me méfie de la beauté, c'est du bluff, une manipulation qui peut laisser totalement passif celui qui la regarde. Je préfère lui suggérer une question..
Le fou parle tout seul, il voit des signes et des choses que les autres ne voient pas.
Je veux peindre ce qu'on ne dit pas.
Et si le fou dérange, je veux que le peintre dérape.


Les mains dans la peinture de Garouste ont une grande importance, il me semble, les corps sont morcelés et les mains se tendent et s'allongent.Dommage, on ne peut pas mettre d'images:)

J'ai bien aimé cette très honnête autobiographie. L'histoire familiale , la façon de raconter ses périodes noires, bien sûr, la conscience qu'il a d'avoir finalement eu beaucoup de chance grâce à sa femme et à sa famille, mais aussi son parcours de peintre et ce qu'il raconte des coteries et du business de l'art moderne!

Un extrait:

L'artiste le mieux vendu aujourd'hui s'appelle Jeff Koons, il a commencé trader à Wall Street, il a su digérer Duchamp et l'objet comme oeuvre d'art, Warhol et l'immersion de l'art dans la société de consommation, son atelier a tout d'une entreprise et il n'a aucun complexe à dire qu'il s'intéresse plus aux prix de ses oeuvres qu'à ses oeuvres elles-mêmes. Il est le gagnant d'une époque faible, saoulée de télévision, d'argent et de performances, où le métier d'artiste est très prisé..
... Je vis dans un pays aux idées très arrêtées, accroché à son concept d'avant-garde. Je ne peux effectivement pas le représenter, je ne crois plus à ce mot, ni au mot "moderne" ou "original". C'est devenu une recette, on s'installe dans l'originalité, on est acheté à Beaubourg et on entre dans la nouvelle académie du XXème siècle, où le discours fait l'oeuvre.
L'avant-garde au musée n'est plus une avant-garde! La provocation n'est plus une provocation si elle est à la mode! La France entretient pourtant cette idée comme une vieille mariée, parce qu'elle se flatte et se repent en même temps d'avoir abrité et méprisé les impressionnistes, une bande d'Indiens géniaux qui fréquentaient le même quartier, les mêmes cafés et s'échangeaient leurs toiles faute de les vendre. Comme toujours elle campe sur son histoire, et d'une révolution pleine de sens, cent ans plus tôt, elle a fait un dogme. Tout ça se termine en un circuit où les coteries et la spéculation vont bon train, où l'empire du luxe, avec la connivence de l'Etat , achète et revend des millions d'euros des oeuvres qui ne dérangent personne.

Paofaia - Moorea - - ans - 19 octobre 2013


"Pas envie de mourir, juste de ne pas vivre" 9 étoiles

On prête souvent aux artistes un esprit torturé, une sensibilité à fleur de peau qui se dévoilent au regard de leur public, si tant est qu'ils connaissent un peu leur vie et leur parcours.
Pour les amateurs des oeuvres de Gérard Garouste, ce doit être le cas. Il dit d'ailleurs parsemer ses tableaux de clés, de codes, de messages, soucieux de laisser derrière lui des toiles qui parleront encore bien après son départ...

Sa vie et son oeuvre sont intimement mêlées. Peinture exutoire ? Probablement, et pourtant il dit que pour peindre au mieux, il doit se sentir bien et ne pas être en phase de délires...

Cet homme vit un véritable combat, victime de ce mal à répétition, provoqué souvent suite à une émotion très vive qu'il ne sait pas gérer... Il a l'extrême chance d'avoir à ses côtés une épouse très forte, qui le soutient toujours, quelles que soient les circonstances, et qui a toujours cru en lui et en son talent, comme ces autres personnages qui lui ont tendu la main et l'ont porté à une renommée internationale.

Les débuts d'une vie difficile, face à un père qui représente tout ce qu'il exècre, l'ont façonné de manière à se rebeller, et toute cette douleur et ces fantômes surgissent dans sa peinture.

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 1 octobre 2013


Il y aurait tant et tant à dire au sujet de ce livre... 10 étoiles

Oui, beaucoup, beaucoup de choses car G.Garouste non seulement y évoque toute cette enfance si sombre pour lui à cause de ce père honni, terrorisant, haïssant plus que tout "le juif"- lui, le fils qui épousera une juive et qui découvrit la Torah dont l'étude avec l'hébreu lui fait écrire: "Peu à peu, je trouvais mon langage", un père qui lui dira lui-même, plus tard, tel un aveu terrible: "C'est dommage que je haïsse l'humanité"; un récit où il parle également de sa mère bien que très peu, de ses futures et encore existantes crises de délire qui sont liées à tout jamais à cette enfance ravagée, ou encore de cette école du Montcel au règlement si dur et où il devint ami avec J.M Ribes et P.Modiano entre autres ou encore de ce "paradis" d'enfance que furent ses séjours chez des parents, très particuliers, en Bourgogne...

Un livre passionnant, par ailleurs, dans lequel il nous fait découvrir également et de fort belle façon, tout son art, cette peinture salvatrice- "mon instrument"-ou encore des thèmes bien plus vastes tels que ses conceptions de l'art en général, ses visions propres de la peinture, sa rencontre avec le très célèbre Leo Krauss qui avait dit de lui: "Vous verrez que c'est un grand artiste" et au sujet duquel il avoue qu'"il a vu l'essentiel de ma carrière. Il fut mon sommet. Je vis encore sur l'élan qu'il m'a donné."

Et, puis, La Source, cette association qu'il a créée pour "sortir (ces) enfants- "des misérables, des enfants grelottants serrés les uns contre les autres"- de chez eux... leur montrer ce qui est beau, et surtout leur dire que ça pouvait avoir un rapport avec eux. Je sais que l'art ne peut sauver le monde mais je sais qu'il contamine les désirs et éveille l'amour-propre."

Un très beau livre à découvrir: bouleversant de vie et d'amour.

Provisette1 - - 11 ans - 30 juillet 2013