Gorazde
de Joe Sacco

critiqué par Blue Boy, le 27 février 2012
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Glaçant mais passionnant !
La Guerre des Balkans dans les années 1990 demeure l’ultime balafre sanglante d’un XXème siècle extrêmement meurtrier. Cet épisode particulièrement tragique que fut l’épuration ethnique en Bosnie et son cortège de massacres est raconté avec talent dans cette BD signée du reporter-dessinateur Joe Sacco, qui a passé quelque temps dans la ville-enclave de Gorazde.

Cet ouvrage m’a impressionné par sa densité et son respect des détails. Joe Sacco a effectué un travail remarquable de documentation et de témoignages, qu’il a su retranscrire parfaitement avec sa ligne claire dans la tradition du comics US à la Crumb. L’alternance des portraits de plusieurs personnages livrant leur vision de cette guerre, avec une description historique et politique du pays, a permis au reporter de produire un ouvrage fluide et instructif. Sacco a su y mêler la précision et l’objectivité du journaliste, la sensibilité et la pudeur de l’humaniste qui ne cherche pas à désigner un camp du doigt plus qu’un autre, mais dénonce surtout l’absurdité de la guerre… et au passage les lenteurs et les lâchetés de l’ONU.

L’auteur nous montre par quel processus des gens qui vivaient en harmonie en viennent progressivement à ne plus fréquenter leur voisin pour devenir leur ennemi mortel, par le seul choix d’un leader nationaliste jouant avec le feu, en l’occurrence le criminel Milosevic, en liguant les Serbes contre les Musulmans. Certains passages sont assez durs mais édulcorer l’horreur aurait équivalu à travestir la réalité, et il s’agit bien là d’un travail de journaliste. Dire qu’il s’agit d’une mise en garde est une évidence, mais ce qui est sûr, c’est que cela fait froid dans le dos. Il n’est même pas totalement farfelu de penser que cela pourrait arriver chez nous. Que se passerait-il en France dans le cas de l’arrivée au pouvoir d’un Le Pen ?

Je conseille ce passionnant ouvrage sur une guerre qui n’était qu’à « deux heures d’avion de Paris » et fait encore partie de l’Histoire récente. La barbarie n’est jamais bien loin sous le vernis de nos sociétés dites civilisées, elle se terre en chacun de nous et ne pourra être domestiquée que par la raison et la réflexion.