Suicide Dans l'Après-Midi
de Anne Renault

critiqué par Paia, le 13 février 2012
( - 75 ans)


La note:  étoiles
Le charme doucereux de la mort
Une écriture au charme un peu hypnotique, au parfum entêtant. Les vacillements de l’âme humaine y sont nombreux et exposés peu à peu, comme on libérerait une splendide pierre luisante – mais noire – d’un fouillis de papiers de soie multicolores. La mort est voluptueuse, son charme est puissant, ses sortilèges souverains. Dans ces nouvelles si bien écrites elle se donne, se cherche, se reçoit, se souhaite ou s’imagine dans un lent mais implacable cheminement intérieur.

La mort est aussi, toujours, dans l’ombre de la vie, de l’appel des sens, d’un grand appétit de plaisirs et d’émotions. Rien de sinistre dans ces nouvelles, mais l’arôme singulier d’une solitude qui crie et veut se réfugier dans l’inexistence.

Les ambiances sont décrites avec la touche d’un Gustave Flaubert. Et le tumulte intérieur des personnages roule comme le tonnerre, explosant en sensualité parfois, ou en jalousie frôlant le désir de crime sans toujours s’y abandonner. L’intensité des émotions surprend, d’autant que bien des acteurs de ces nouvelles sont des gens comme les autres, semble-t-il. Comme nous. Et nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si nous aussi… dans une telle situation de vie, nous …

Je ne désire pas user le plaisir de la découverte en abordant nouvelle par nouvelle et expliquant sa singularité. Toutes sont excellentes et aspirent le lecteur dès les premières lignes vers le dénouement, avec l’attrait d’un voyage dans l’interdit. Mais quelques phrases vous donneront un aperçu de la plume d’Anne Renault :

« Ce qu’il contemple, c’est une belle fille, robuste et simple, au regard sans expression. Elle est debout, tranquille, dans la partie sombre de la rue. Et devant elle, au premier plan, dans la blancheur aveuglante de la lumière, une ombre s’étire. »

« L. est une petite ville banale de Flandres. Les vieux quartiers s’étendent dans une boucle du canal. A l’entour, la campagne est plate, riche et sans beauté. De belles maisons de brique, aux vitraux de couleur s’élèvent au milieu des champs. »

« Le ciel est gris fer. Pas un souffle. Rien ne bouge et il règne une atmosphère d’attente qui énerve. Les hirondelles volent bas et crient en rasant le sol. »

Chacune de ces nouvelles a son intensité et son mystère propres. Chacune est servie d’une écriture forte, de descriptions minutieuses qui conduisent le lecteur à l’apaisement final.
SUICIDE DANS L'APRES-MIDI 8 étoiles

Anne Renault, Suicide dans l’après-midi, Chloé des Lys, 2012

Un recueil de nouvelles, ou plutôt de brefs romans en suspens, qu’une Française du Sud-Ouest, très éprise de notre littoral et de sa perle envoûtante et ensorienne, Ostende, nous envoie dans une édition belge que nos lecteurs connaissent bien. Six parties, aussi sombres l’une que l’autre, d’une écriture cinglante et crue, trempée dans une soif de s’exprimer sur sa vie de femme et d’intellectuelle, six parcours sur le sable marin ou dans son pays natal, la Charente, six randonnées éprouvantes qui entraînent le lecteur vers une fin de journée qui le sera bien davantage. Le sens de la vie, c’est qu’elle a une fin, devait se répéter Kafka entre les stations de son chemin de croix, et ce n’est pas par hasard que l’auteur revient sur cette phrase, avec une sorte de jouissance amère et qu’elle nous la jette à la figure sous forme d’exergue. L’intérêt du livre est moins littéraire qu’humain et philosophique : comment vivre et s’accrocher aux splendeurs du monde, tout en étant trop « voyant », trop sensible et surtout extrêmement exigeant vis-à-vis de ses semblables ? Rien ne nous est épargné de la difficulté d’être et de l’impossibilité d’échapper aux contingences, aux médiocrités ambiantes, aux pièges, aux énigmes insolubles de l’existence. Un père qui refait sa vie et vous lâche au beau milieu d’un éphémère paradis d’été, un photographe qui étouffe de malaise devant une nature morte d’une vérité et d’une intensité insoutenables, un vieil amant insupportablement sûr de lui et dédaigneux des autres, un paysage d’une enfance retrouvée parasité par un intrus, un homme qui ne dort plus comme il faut dormir pour ne pas sombrer dans le cauchemar de vivre…voilà de quoi méditer durant des après-midis entières et choisir, le soir venu, ou d’écrire soi-même une réponse à l’auteur ou d’aller se promener, le long de la mer, en savourant sa liberté de penser, d’être d’un avis tout autre et de rêver de lendemains qui chantent à l’horizon…
Ainsi donc un livre peut nous retourner comme une simple éponge de seiche sur l’écume des jours, un de plus, nous dira-t-on, dans la longue marée noire des romans ou récits qui nous inondent le coeur avec notre étrange consentement…

Michel Ducobu

Zebidiris - Saint-Avertin - 77 ans - 30 janvier 2013


J'ai lu SUISCIDE DANS L'APRES-MIDI de Anne Renault 9 étoiles

J’ai lu : Suicide dans l’après-midi de Anne Renault,
Ed Chloé des Lys, 2011, ISBN 978-2-87459-607-0

Intriguée. J’étais intriguée en lisant ce titre, suicide dans l’après-midi. Et puis cette photo de couverture : un homme appuyé conte une une robuste colonne de pierre, un gsm collé à l’oreille. Devant lui, au loin, la mer du Nord. Que j’aime tant.
Plus je lisais ce livre et plus j’étais intriguée, emmêlée dans une spirale. Je voulais savoir ce qu’il arriverait à celui-ci, à celui-là…Puisqu’à chaque ligne, on perçoit, par dose homéopathique, un mystère, quelque chose de contradictoire qui doit survenir ; ça se renifle.
Le livre, une petite dizaine de nouvelles. Des hommes et des femmes ancrés dans la platitude de la vie et puis clac, la bascule…

Pierre, instituteur d’un village situé en bord de mer. Pierre, son travail, son épouse. Une vie paisible, sans heurt…Sans heurt ?
Une rumeur, celle d’un accident à la centrale toute proche ; il n’en fallait pas plus à Pierre pour…
P 17 : Avec la violence d’un coup, j’ai revu la plage froide, les rouleaux, une femme blonde qui n’était pas Juliette. On ne ferait pas de moi un citoyen modèle. Personne ne m’arracherait à mes rêves.

P 55 : Mon père est un homme gai.
Une fille et son père, veuf, partagent le même appartement. Dans ce texte, tout l’amour d’une femme pour son père. Un quotidien partagé, une connivence dans les gestes et les mots. Et puis voilà que toutes ces sentiments bien rangés, bien en place, se désharmonisent.
P69 : Je ne devine pas encore ce qui va se passer, mais je sens qu’il apris une décision, et que tout va changer.

Le suicide de Joseph Van Aragon, un photographe. L’après-midi, il vait photographié une jeune fille. Le soir, il se tire une balle.
Cette histoire s’enchevêtre dans celle de Hans, un garçon différent des autres. Nerveux, difficile, rusé. Il jette des pierres sur les canards. Mais si attentif pourtant, quand il protège la petite chatte.
P92 : Mais un calme inconnu, peut-être une douceur, l’a envahi, l’a reposé un instant de sa rébellion quotidienne. La chatte est devenue une pause tendre dans son existence de petit soldat.
Plus tard, Hans devient croupier, au casino d’Ostende.
P116 : Un mouvement s’ébauchait, et je m’arrêtai. Une forme tournait très lentement sous mes yeux. C’était un corps, un corps de femme, et il était nu.

Un meurtre…Une vengeance ?
P 160 : Elle avait saisi le cendrier de cristal…

Histoire d’un homme.
P 183 : Quelque chose, mais il ne savait pas quoi, lui jouait un mauvais tour…

L’écriture de cet auteur, une plage à marée basse, le bruit uniforme des vagues qui viennent mourir doucement, entre méduses et coquillages. Et puis soudain, la marée survient, presqu’en avance, comme si nous l’avions oubliée, comme si nous avions pensé que tout resterait comme ça, lent et sans heurt. Des personnages surprenants, je dirais même, qui se surprennent eux-mêmes…
Des descriptions de paysages qui donnent envie de se déplacer. Allons voir si cette lumière est bien celle-là …
L’atmosphère de ces villes flamandes ;j’avais en lisant ce livre l’impression de ressentir tout au fond de moi les odeurs des rues d’Ostende, les ombres des maisons. Puisqu’après tout, je connais si bien cette région et depuis si longtemps…
Une étoile en plus pour l’histoire de Hans et celle de sa sœur, qui interfère dans…mais là, suspense !

Carine-Laure Desguin - - 61 ans - 1 mars 2012