Défense de tuer
de Louise Penny

critiqué par Libris québécis, le 9 février 2012
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Un monument meurtrier
Louise Penny est une Torontoise qui s’est installée à Sutton au Québec lors de sa retraite comme journaliste de la CBC, le réseau d’État. Elle a troqué alors le micro pour la plume. Sous les deux chapeaux, elle s’est couverte de laurier. On la compare à Agatha Christie. D’ailleurs, aux États-Unis, elle occupe le haut du palmarès du Times. Au Québec, elle étouffe sous les coups d’encensoir des chroniqueurs littéraires comme en témoigne la citation suivante : «Défense de tuer, une enquête brillamment menée, se distingue par la qualité de l’écriture, fine et souvent très humoristique malgré la tragédie, l’excellence de l’intrigue, le réalisme et la profondeur des personnages, la puissance de l’histoire. Voilà un bouquin très difficile à mettre de côté, auquel on s’accroche, peu importe l’heure. » (Journal de Québec, 25 janvier 2012)

Comme Aaro-Benjamin G., dont on peut lire ici la critique du premier roman de l’auteure, je n’ai pas été séduit par Défense de tuer. Ce fut même un pensum que de lire ce polar transplanté au cœur de la nature sauvage des Cantons-de-l’Est, région qui côtoie la frontière américaine. C’est au Manoir Bellechasse, une fastueuse auberge de bois érigée en bordure du lac Massawippi, que l’on commet l’irréparable alors qu’Armand Gamache, le chef de la SQ (Police du Québec), est venu célébrer son anniversaire de mariage.

Dans un huis clos comparable au Dix petits nègres, l’inspecteur en chef délaisse sa femme pour mettre la main au collet du meurtrier, qui ne peut être autre qu’un client de l’auberge. L’enquête s’annonce simple. Une famille canadienne anglaise a réservé ce paradis pour inaugurer un monument érigé sur le vaste terrain boisé du Manoir en l’honneur du père Charles Morrow, décédé il y a quelque temps. Qui des quatre enfants du richissime géniteur aurait assassiné leur sœur Julia en faisant glisser la statue de son socle à la manière des Bourgeois de Calais de Rodin?

Ce canevas sert de prétexte pour examiner la dynamique familiale à laquelle est liée Honoré Gamache, le père de l’inspecteur chef. La vengeance apparaît comme le mobile de ce meurtre. Tous et chacun sont suspectés, y compris Armand Gamache, qui devient, dans les circonstances, juge et partie. Mais l’auteure n’a pas cru bon de s’attarder sur la défense des intérêts de son enquêteur.

L’auteure trace longuement le profil psychologique des personnages. Tous des gens cultivés qui se passionnent soit pour la musique, soit pour la peinture, soit pour la poésie dont raffole l’inspecteur-chef. Ce dernier ne manque jamais une occasion de citer ses poètes préférés, en particulier John Milton, dont il a tiré la conclusion de son enquête : « L’esprit est à soi-même sa propre demeure, il peut faire en soi un ciel de l’enfer, un enfer du ciel. » Ce contexte confère un fin aura au polar sans compter tout l’aspect informatif sur les abeilles à l’origine de la clé de l’énigme. Le lecteur nage dans une atmosphère délicate, mais ce mariage policier et culturel allonge ce roman indûment.

Il est difficile d’aborder la qualité de l’écriture puisqu’il s’agit d’une traduction peu élégante : « À l’intérieur, savait-il, se trouvaient ses parents. » J’aurais écrit : « Il savait que ses parents se trouvaient à l’intérieur. » C’est sans compter les erreurs sur la faune. Dans les Cantons-de-l’Est, on ne voit pas de wapitis (cerfs du grand Nord) ou de huards (canards arctiques). Bref, le menu relève d’une cuisine anglaise raffinée, mais les mets sont servis dans des assiettes de « cartron » (carton).